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sous-marines et ouvrir une route aux forces navales, une grande puissance est superflue et de grandes dimensions seraient nuisibles. Des navires de faible valeur doivent jouer ici le principal rôle, et ils ne sont pas moins nécessaires dans la grande guerre. Durant ses principales opérations, les navires de combat demeurent immobiles. Cela est évident au cas de blocus : il n’en est pas autrement, malgré le terme, dans la guerre de course. Au temps où l’ignorance des hommes, appelant caprice de la nature des lois encore inconnues, accusait la mer et le ciel au lieu de les observer, il fallait chercher les navires de commerce sur toute l’étendue des mers où ils se laissaient pousser. Mais chaque jour une expérience plus attentive découvre dans les mouvemens de l’air et de l’océan des courans dont la direction est constatée pour un grand nombre, dont se sert la marine à voile, et dont s’aide la marine à vapeur. Les paquebots rapides qui vont au plus court ne suivent pas des routes moins régulières : ainsi se sont tracées sur les océans les grandes voies commerciales du monde. À certains points, ces routes se croisent et forment les « carrefours de la mer. » Ainsi, pour citer un exemple, les navires partant d’Europe à destination des Antilles ou des États-Unis, tous ceux qui partent des États-Unis ou du Canada à destination des mers de l’extrême Orient en doublant le cap de Bonne-Espérance ou qui se rendent dans l’ouest en doublant le cap Horn, comme ceux qui font les routes inverses, passent tous également dans l’Atlantique au nord de la ligne par un point que l’on peut approximativement fixer au 23e degré de latitude septentrionale et au 40e degré de longitude ouest. De même tout navire parti d’Europe ou de l’Amérique du Nord pour passer l’équateur, le coupe aux environs du 26e degré de longitude ouest. Il est encore sur l’Océan beaucoup de points qui s’imposent à la navigation du commerce[1]. Par suite, pour atteindre les bâtimens, il y a quelque chose de plus sûr que de les poursuivre, c’est de les attendre. Les « carrefours » sont des postes d’observation dont les croiseurs ne s’éloignent guère. Cette immobilité est parfois pour eux plus qu’une tactique, une obligation. Les mieux approvisionnés de combustible n’en ont pas pour plus de quelques jours aux allures rapides. Cette pénurie est une des grandes difficultés de la guerre. Dès la première opération accomplie par la marine à vapeur, le blocus de Venise en 1859, le commandant de la division française annonçait dans les dépêches comme affaire de grande importance la capture de cinq charbonniers autrichiens, et il ajoutait après la campagne : « Sans cette manne du désert offerte à nos fourneaux, nous n’aurions jamais

  1. Edinburgh Review, article reproduit par la Revue britannique, juin 1882.