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reconnaît de toute part que cette question-là est passagère : l’Amérique se remplit et la terre cultivée sans prévoyance s’épuise, c’est une période difficile à passer, personne n’en saurait fixer exactement la durée, mais les hommes d’âge moyen en verront la fin. On ne trouve pas très consolante cette perspective, on nous reprochera peut-être de ne pas présenter un moyen de lutter victorieusement contre cette concurrence. Mais personne n’a su en offrir jusqu’à présent ; y a-t-il donc des remèdes pour tous les maux ?

Des remèdes, non ; mais la plupart des maux peuvent être atténués. Commençons par ne pas les exagérer. À entendre les uns ou les autres, on croirait que la concurrence américaine nous cause des privations ; elle ne nous retire cependant ni un grain de blé ni un gramme de viande ; elle empêche seulement les prix de s’élever. Le consommateur est satisfait ; le producteur seul aurait à se plaindre. Mais le producteur ne pourra-t-il donc pas améliorer ses procédés ? À cette question personne n’a encore répondu négativement. On est même quelque peu optimiste relativement aux progrès possibles. Seulement il semble difficile d’accorder ce sentiment avec le découragement qui se manifeste dans le n)onde agricole. On n’y parle que de restreindre la culture des céréales, ce qui est jeter le manche après la cognée. Nous préférerions voir redoubler d’efforts, car ce n’est qu’après avoir augmenté notre propre production de manière à fournir aux populations tout le blé nécessaire à leur consommation qu’on sera en droit de se plaindre des approvisionnemens qui nous viennent du dehors. Que pourrait répondre l’agriculture si on lui reprochait d’avoir dormi pendant que la population progressait, et si lentement encore ? Qu’elle hâte donc le pas maintenant pour regagner le terrain perdu, qu’elle multiplie ses produits, et quand ils seront au niveau des besoins de la consommation, la concurrence étrangère tombera d’elle-même.


III.

Les pays qui ne produisent pas la totalité des subsistances nécessaires à leurs habitans ont généralement la ressource de tirer un complément de l’étranger et de le payer avec les produits de leur industrie. C’est précisément l’état florissant des mines, usines et manufactures, qui a permis à ces populations de dépasser le niveau, nous ne disons pas des subsistances, mais de la production agricole du pays. Les publicistes ne sont d’ailleurs pas d’accord sur la gravité de cette situation. Pendant que les uns voudraient que chaque état produisît sur son propre territoire le pain et la viande qu’il consomme, abandonnant le reste aux chances des rapports internationaux,