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Voilà qui est parler ! Et qu’on prenne bien garde : cette circulaire, si étrange qu’elle ait paru, n’est pas précisément une nouveauté. On aurait beau la désavouer officiellement, pour la forme, pour l’honneur des principes, ce qu’elle dit, ce qu’elle recommande n’est pas moins ce qui se pratique déjà depuis quelques années un peu partout. Il n’est pas un simple canton, un modeste village où un employé ne soit exposé aux effets du « contrôle politique » de M. le sous-secrétaire d’état des finances, c’est-à-dire aux délations et aux disgrâces pour ses opinions présumées, pour ses « fréquentations habituelles. » Pour avoir un débit de tabac dans une bourgade, il faut donner des gages, avoir son brevet de républicain ! Sous l’empire, dont on imite les procédés en les aggravant, il y avait sans doute ces amis du premier degré dont nous parlions, les orthodoxes à qui étaient réservés les emplois ; mais l’administration était assez puissante et souvent, il faut le dire, assez éclairée, pour n’être point à la merci de tous les caprices, de toutes les délations ou même des influences de localité. Aujourd’hui l’administration supérieure est singulièrement affaiblie ; les ministres passent, les préfets eux-mêmes changent aussi, et ce sont les députés de chaque arrondissement, les conseillers locaux de toute sorte, les comités, qui se chargent d’exercer ce « contrôle politique » remis à neuf par M. le sous-secrétaire d’état des finances, qui veulent avoir leurs sous-préfets, leurs percepteurs, leurs juges de paix, leurs cantonniers, leurs débitans de tabac, — tous républicains ou prétendus tels. Ce n’est plus de la politique, ce n’est plus de l’administration ; c’est l’esprit de parti et de localité dans ce qu’il a de plus subalterne disposant de tout, prétendant tout régenter. C’est là ce qu’on appelle organiser et servir la république !

Les républicains sont aujourd’hui dans cette phase d’aveuglement et d’infatuation où ont été plus d’une fois les partis victorieux. Ils sont la proie de leurs passions, de leurs fanatismes et de leurs intérêts. Parce qu’ils ont le succès du moment, ils croient qu’ils peuvent tout faire, mettre la main surtout, sur les traditions, sur l’histoire, sur l’organisation, sur le budget de la France. Ils se figurent qu’ils n’ont qu’à exclure leurs adversaires, à distribuer emplois et faveurs à leurs amis, à satisfaire les intérêts, pour s’assurer une clientèle dévouée, pour fonder et prolonger leur domination. Matériellement, ils peuvent sans doute l’essayer, puisqu’ils disposent de tout ; moralement, ils sont les dupes d’une singulière illusion. Ils s’exposent à dévorer promptement leur règne par l’abus d’un pouvoir qu’ils ne savent exercer que dans l’intérêt de leurs propres passions, et assurément un des plus étranges abus que puisse se permettre l’esprit de parti, c’est cette sorte de liste des bénéfices ouverte au profit de ce qu’on appelle aujourd’hui les victimes du coup d’état de 1851.

Ce n’est pas ici que le 2 décembre a rencontré des flatteurs ou