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le rouge domina dans les tissus de Sainte-Marie-aux-Mines, auxquels on donna le nom de siamoises. Peu à peu cette brandie d’industrie se répandit dans le voisinage ; les métiers à tisser se multiplièrent, surtout lorsque l’introduction de la filature mécanique permit de se procurer des filés de toute qualité. Au coton et au lin précédemment employés vinrent s’ajouter la laine, la soie, le poil de chèvre, dont les divers mélanges fournirent les tissus les plus variés ; aux anciennes siamoises succédèrent les guingamps, les madras, les mérinos, les satins de Chine, les écossais, les damas, etc., qui, pendant de longues années, ont fait de Sainte-Marie-aux-Mines un centre industriel des plus actifs. C’était aussi un de ceux où la population laborieuse était le moins exposée aux souffrances des chômages, par suite de l’habitude qui s’était conservée de faire travailler les ouvriers à domicile.

La plupart des habitans de la montagne possèdent chez eux un eu plusieurs métiers à tisser sur lesquels les divers membres de la famille trouvent à s’occuper pendant l’hiver et dans les momens où les travaux de la campagne leur laissent quelque répit. Le coton est livré en chaîne par le fabricant, auquel le tisserand le rapporte en pièces. Ouvriers et fabricans ont longtemps trouvé leur avantage à cette organisation ; les premiers, parce que le tissage n’était pour eux qu’un accessoire et un moyen d’utiliser leurs momens perdus, les autres parce qu’ils économisaient le capital engagé dans les ateliers et n’avaient pas à se préoccuper des chômages qui pouvaient survenir. Mais, à mesure que les communications se multiplièrent et qu’on prit l’habitude de travailler sur commande à délais fixes, il fallut apporter plus de régularité dans la fabrication. On dut se résoudre à créer des ateliers, mais on évita de les concentrer dans la ville et on leur conserva un certain caractère rural en les éparpillant dans les vallées, de façon à permettre aux ouvriers d’y venir travailler sans s’éloigner de leurs habitations et sans abandonner tout à fait leurs occupations agricoles. La plupart de ces ateliers sont encore pourvus de métiers à bras, ce qui leur constitue une infériorité à l’égard de ceux qui ont des métiers mécaniques. C’est une des causes de la souffrance de ce centre industriel, mais ce n’est pas la seule : la principale est dans le changement qui s’est produit dans les conditions économiques par le fait de l’annexion, qui lui a fermé le marché en vue duquel ses produits étaient fabriqués sans lui en ouvrir un autre où il pût les écouler. Des 15,000 ouvriers qui, avant 1870, étaient occupés à leurs métiers à bras, il en reste aujourd’hui à peine 10,000 ; encore parmi ces derniers, ceux qui travaillent à domicile chôment-ils pendant la plus grande partie de l’année. Quant aux métiers mécaniques, plus de