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capitaux déboursés, mais encore l’amortissement, en sorte qu’avec le même fonds de souscription, la Société a pu, au moyen d’emprunts, bâtir jusqu’ici 948 maisons, dont 943 étaient vendues au prix total de 4,074,841 francs et presque complètement payées[1]. Annexés à ces cités sont des écoles, des lavoirs, des boulangeries, des restaurans fournissant les denrées au prix de revient. Les ouvriers obligés de s’acquitter pour devenir propriétaires avaient pris l’habitude de l’épargne ; ils avaient déserté les cabarets, acquis l’amour du confort et de la propreté et senti se développer en eux des sentimens jusqu’alors inconnus. Le succès de ces cités ouvrières de Mulhouse en provoqua la création de nouvelles sur d’autres points de l’Alsace, et il en existe aujourd’hui dans tous les principaux centres. C’est en transformant les travailleurs en propriétaires, en leur facilitant l’accès du capital au lieu de les laisser s’insurger contre sa prétendue tyrannie, que les industriels alsaciens ont cherché à résoudre la question sociale, et que, sans bruit ni déclamations, ils ont amélioré la situation de leurs ouvriers. Beaucoup d’entre eux l’ayant été eux-mêmes avant d’être chefs de maison, ils sont mus par cet esprit de charité qui faisait dire à M. Daniel Kœchlin à son lit de mort : « Je n’ai jamais pu trouver le bonheur complet, parce que je n’ai jamais pu me consoler des misères irrémédiables que j’ai vues autour de moi. »

Les succès obtenus à ce point de vue sont tels que M. Bœtticher, ministre d’état et vice-chancelier de l’empire, a avoué à M. Grad lui-même que, si les institutions de prévoyance étaient répandues en Allemagne, sous l’influence de l’initiative privée, comme elles le sont en Alsace, le gouvernement allemand pourrait se dispenser d’intervenir pour sauvegarder la paix sociale[2]. Peut-être pourrait-on on dire autant de la France, où malheureusement on parle toujours beaucoup plus qu’on n’agit, où la question ouvrière n’est trop souvent qu’un prétexte aux agitations, un thème aux déclamations de vulgaires ambitieux.


IV

Nous venons d’esquisser, d’après M. Grad, les traits principaux de la situation industrielle de l’Alsace avant la guerre. Il nous reste à nous demander quelles ont été jusqu’ici et quelles seront dans

  1. Au 1er janvier 1880, il y avait 1,200 maisons construites, dont 1,000 payées.
  2. Dans une communication récente faite à la Société industrielle de Mulhouse, M. Engel-Dollfus, chef de l’importante maison Dollfus-Wieg de Dornach, exprime la crainte que les nouvelles lois en élaboration au parlement allemand ne portent un coup morte ! aux institutions philanthropiques dont l’Alsace s’honore et qui doivent leur prospérité actuelle à la sollicitude des patrons pour leurs ouvriers.