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dont la première condition est de n’avoir aucune foi préalable et de rejeter ce qui n’arrive pas, il resta dans cet équilibre où une conviction moins ardente eût trébuché. Le surnaturel ne lui causait aucune répugnance intellectuelle. Sa balance était très juste ; mais dans un des plateaux il y avait un poids infini, une foi inébranlable. Ce qu’on aurait pu mettre dans l’autre plateau eût paru léger ; toutes les objections du monde ne l’eussent point fait vaciller.

La supériorité de M. Le Hir venait surtout de sa profonde connaissance de l’exégèse et de la théologie allemandes. Tout ce qu’il trouvait dans cette interprétation de compatible avec l’orthodoxie catholique, il se l’appropriait. En critique, les incompatibilités se produisaient à chaque pas. En grammaire, au contraire, l’accord était facile. Ici M. Le Hir n’avait pas de supérieur. Il possédait à fond la doctrine de Gesenius et d’Éwald, et la discutait savamment sur plusieurs points. Il s’occupa des inscriptions phéniciennes et fit une supposition très ingénieuse, qui depuis a été confirmée. Sa théologie était presque tout entière empruntée à l’école catholique allemande, à la fois plus avancée et moins raisonnable que notre vieille scolastique française. M. Le Hir rappelle, à beaucoup d’égards, Dœllinger par son savoir et ses vues d’ensemble ; mais sa docilité l’eût préservé des dangers que le concile du Vatican a fait courir à la foi de la plupart des ecclésiastiques instruits. Il mourut prématurément en 1870, à la veille du concile, où il devait se rendre comme théologien. J’avais toujours eu l’intention de proposer à mes confrères de l’Académie des inscriptions et belles-lettres de le nommer membre libre de notre compagnie. Il eût rendu, je n’en doute pas, à la commission du Corpus des inscriptions sémitiques des services considérables.

À son immense savoir M. Le Hir joignait une manière d’écrire juste et ferme. Il aurait eu beaucoup d’esprit s’il se fût pertes. d’en avoir. Sa mysticité tendue rappelait celle de M. Gottofrey ; mais il avait bien plus de rectitude de jugement. Sa mine était étrange. Il avait la taille d’un enfant et l’apparence la plus chétive, mais des yeux et un front indiquant la compréhension la plus vaste. Au fond, il ne lui manqua que ce qui l’eût fait cesser d’être catholique, la critique. Je dis mal ; il avait la critique très exercée en tout ce qui ne tient pas à la foi ; mais la foi avait pour lui un tel coefficient de certitude que rien ne pouvait la contre-balancer. Sa piété était vraiment comme les mères-perles de François de Sales, « qui vivent emmy la mer sans prendre aucune goutte d’eau marine. « La science qu’il avait de l’erreur était toute spéculative ; une cloison étanche empêchait la moindre infiltration des Idées modernes de se faire dans le sanctuaire réservé de son cœur, où brûlait, à côté du pétrole, la petite lampe inextinguible d’une piété tendre