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d’hui dans le grave conflit engagé entre les patrons et les ouvriers d’une des plus grandes industries parisiennes, de l’ameublement. Au lieu de s’en tenir à l’examen calme, sérieux des rapports des uns et des autres, de ce qui serait possible et équitable, on va tout de suite à une guerre à outrance qui pourrait être suivie d’une suspension universelle du travail. Les ouvriers croient défendre leurs intérêts et ils se trompent ; ils dépassent ouvertement leurs droits lorsqu’ils prétendent imposer aux patrons des conditions qui ne peuvent pas être acceptées, qui aboliraient la liberté des transactions et seraient bientôt la ruine de tout le monde. Ils ne s’aperçoivent pas que, s’ils réussissaient à imposer leurs conditions, ils seraient, eux, les maîtres par droit de conquête, les patrons seraient à leur merci, et le problème social des rapports du capital et du travail n’en serait pas plus résolu, il n’aurait fait que se déplacer. Les ouvriers parisiens qui croient avoir des griefs légitimes ne sont pas de ceux qui veulent détruire : ils tiennent même à séparer leur cause de la politique, de la révolution sociale, — ils le disent, il faut les en croire. Ils agissent, ils parlent cependant comme s’ils ne craignaient pas d’aller en ce moment au-devant d’une formidable crise industrielle grosse de périls, et, par une coïncidence singulière, ils portent aujourd’hui le contingent de leurs agitations à un mouvement qui ne peut pas plus servir les ouvriers que les patrons, dont les chefs n’ont d’autre but que de ramener la société française à une sorte de barbarie.

Que les ennemis des institutions auxquelles la France est aujourd’hui soumise triomphent ironiquement de tout ce qui se passe, troubles et grèves, qu’ils se plaisent sans cesse à représenter la république comme la cause première de tous les excès, ils sont peut-être un peu imprudens parce qu’en définitive ceci est l’affaire de tout le monde, en dehors dès questions de république ou de monarchie ; ils oublient que c’est la société tout entière, la société civilisée, libérale, laborieuse qui est en jeu. Il n’est pas moins vrai qu’ils sont un peu dans leur droit et que, si la situation de la France en est arrivée au point où elle n’est pas sans gravité et sans dangers, ce sont les républicaine qui l’ont voulu, qui y ont contribué par leurs connivences ou par leurs imprévoyances. Il y a déjà Quatre ou cinq années que les républicains règnent, qu’ils disposent de toutes les forces et de toutes les prérogatives du pouvoir dans l’intérêt de la république, dont ils veulent être les seuls interprètes et les gardiens privilégiés. Si les passions les plus violentes se sont réveillées, si la démagogie la plus meurtrière a pu se déployer et s’organiser, si les complots renaissent, à qui la faute ? Est-ce qu’il n’y a pas des lois parfaitement existantes contre les affiliations secrètes et internationales dont on se plaint maintenant ? Est-ce qu’à défaut des moyens d’action singulièrement diminués dans les lois sur la presse, sur les réunions, il n’y a pas les lois de droit commun ; les ressources du code pénal ? Est-ce que dans une société civilisée on