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mérite du désintéressement. Rien de mieux ; jusque-là la situation était parfaitement claire et avouable. Ce n’est qu’un peu plus tard, après la démission de M. le maréchal de Mac-Mahon et l’avènement à la présidence de M. Grévy, qu’on se ravisait, qu’un nouveau ministre des affaires étrangères, M. de Freycinet, essayait de relever la question, comptant pouvoir se servir de bonnes dispositions témoignées par l’Allemagne et par l’Angleterre. C’est malheureusement ici que les déviations ont commencé pour les ministères qui se sont succédé et qu’on s’est engagé dans une voie où il a fallu aller de subterfuge en subterfuge, faute de pouvoir ou d’oser avouer ce qu’on voulait, il a fallu recourir à la plus bizarre des tactiques, s’avancer par des chemins couverts, s’épuiser en réticences et eu expédiens, tantôt pour obtenir des crédits insuffisans, ou pour former un corps d’expédition sans en avoir l’air, tantôt pour conquérir la sanction d’actes mal définis dont on craignait de préciser le caractère et le but. Un des plus singuliers spécimens de cette politique a été sûrement cette campagne qu’on organisait à grand fracas contre les problématiques Khroumirs, contre ces Khroumirs devenus légendaires, — et dont le seul résultat a été ce premier traité qu’un de nos généraux allait dicter militairement au Bardo, qui, à vrai dire, en laissant voir les projeta de la France, ne décidait encore rien, ne créait qu’une situation incertaine. C’est ainsi qu’on a marché à travers une succession de péripéties sans avoir l’avantage du désintéressement dont on s’était fait honneur à Berlin, sans avoir, d’un autre côté, l’avantage d’une politique franche avouant ouvertement l’intention d’aller établir le protectorat nécessaire de la France à Tunis. On a poursuivi une entreprise parfaitement avouable en elle-même par des actes souvent équivoques : voilà le malheur ! Ce n’est pas de l’habileté autant qu’on le croit ; c’est plutôt de la faiblesse et de l’inexpérience. Un des inconvéniens de ce système a été de s’exposer à un certain soupçon de duplicité inutile, de froisser des cabinets en leur laissant le temps de nous créer de singulières difficultés s’ils avaient trouvé un appui que les circonstances auraient pu rendre possible. Un autre inconvénient a été de paraître tromper les chambres en les engageant par degrés dans une affaire sur laquelle elles n’ont pu jamais se prononcer que lorsqu’il n’était plus temps, et c’est là certainement ce qui a toujours contribué à rendre cette entreprise suspecte, à lui imprimer un sceau d’impopularité devant le parlement comme devant l’opinion.

Aujourd’hui est-on au terme de cette étrange campagne ? Le traité récemment divulgué, qui avait été signé au mois de juillet avec l’ancien bey et qui sera sans doute ratifié par le nouveau souverain, qui n’a point été encore d’ailleurs soumis à notre parlement, — ce traité a du moins le mérite de créer une situation plus précise et plus nette.