Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/301

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

montagnes dénudées couronne l’horizon d’une ligne nette et arrêtée. La lumière est plus vive, plus intense que dans la baie de New-York, et sans que le détail ait beaucoup de charme, l’impression qui domine est celle de l’éclat et de la grandeur. Après une courte traversée de dix minutes, nous débarquons à Oakland Ferry au milieu d’une confusion inexprimable de tramways et d’omnibus parmi lesquels je finis cependant par distinguer celui du Palace-Hotel, où je me fais conduire.

Le Palace-Hotel a eu autrefois une grande réputation en Amérique. Aujourd’hui sa gloire est un peu éclipsée pour avoir trop souvent servi de modèle. D’ailleurs tout le monde connaît l’Hotel Continental, n’est-ce pas ? Eh bien ! comme il a été bâti sur le plan du Palace-Hotel, cela me dispense de toute description. Pour mon compte, je suis blasé sur ces splendeurs d’auberge qui, après m’avoir amusé au début, me laissent aujourd’hui tout à fait indifférent. Et puis j’ai une idée fixe : voir l’Océan-Pacifique, et si je m’écoutais, je partirais immédiatement à la découverte. Mais une étude approfondie de l’Appleton-Guide a rectifié mes idées tout à fait erronées sur la position de la ville de San-Francisco, que je croyais (l’instruction n’étant pas obligatoire au temps de mon enfance) assise à l’entrée de la baie et en vue de la mer. Elle est au contraire séparée de l’Océan par une chaîne de collines sablonneuses qui en masque entièrement la vue, et il faut près d’une heure pour gagner le bord de la mer. Or, comme il est plus de quatre heures et que nous sommes au mois de novembre, je n’arriverais qu’à la nuit tombante. Je contiens donc mon impatience et je me contente de parcourir la ville un peu au hasard. Je suis très frappé de l’aspect de ses grandes rues, plus larges et non moins animées que celles de New-York er d’une certaine apparence à la fois grandiose et inachevée. Des trottoirs en bois vous conduisent à des magasins éclairés à la lumière électrique. De grandes voies bordées de magnifiques maisons aboutissent brusquement à une colline en sable ; on n’a pas eu le temps de percer la colline et on a commencé une rue ailleurs. Mais ce qui donne à la ville de San-Francisco un aspect unique entre toutes les villes américaines, c’est le grand nombre des Chinois. On en rencontre à chaque pas, marchant généralement deux par deux, leur longue tresse de cheveux roulée deux ou trois fois autour de leur cou, probablement pour éviter qu’on ne la tire par malice, silencieux, impassibles, et, on le sent tout de suite, imperméables à cette civilisation qu’ils ont cependant contribué à créer. Une promenade que je fais le soir même dans le quartier chinois trompe un peu ma curiosité ; je me figurais des petites rues obscures éclairées avec des lanternes en papier. Point : ce sont de larges rues bordées de trottoirs et éclairées au gaz. La seule différence d’avec les rues européennes, c’est que sur