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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/39

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l’institutrice du monde moderne. Les Russes ont de grands rêves d’avenir, ils se promettent toutes les gloires ; avant d’acquiescer à leurs prétentions, renseignons-nous sur la valeur artistique de ce peuple. Est-il arrivé à la possession d’un art national ? Est-il du moins acheminé vers ce but ? C’est pour essayer de répondre à cette question que je suis venu à Moscou et que j’ai entrepris cette étude.


I

L’étranger qui jugerait l’art russe uniquement d’après les œuvres rassemblées à l’exposition serait mal renseigné. Faute de place ou d’une bonne volonté suffisante chez les détenteurs de tableaux, l’amateur éclairé qui a organisé la section des beaux-arts n’a pu en faire la représentation exacte des forces de l’école. On y entrevoit à peine quelques-uns des peintres russes les plus intéressans, on y voit trop certains autres. Hâtons-nous d’avertir ce même étranger que, s’il croyait compléter ses informations au musée de l’Ermitage, à Saint-Pétersbourg, il ferait à la Russie une cruelle injure. Il y a bien, dans cette admirable collection, une salle précédée d’un cartouche où on lit cette annonce pompeuse : « École russe. » L’annonce est peu patriotique, car la plupart des voyageurs n’ont pas le loisir de s’enquérir ailleurs, et ils doivent emporter l’impression d’un néant absolu[1]. C’est dans les collections particulières qu’il faut chercher les œuvres éparses des artistes ; c’est aux expositions annuelles de l’Académie des beaux-arts et dans des expositions individuelles d’un usage très fréquent en Russie qu’on peut étudier le mouvement contemporain. Je ne me serais jamais enhardi à parler d’un sujet aussi neuf, si les circonstances ne m’avaient permis de profiter, durant plusieurs années, de toutes ces sources d’information. Enfin, à Moscou même, la riche galerie de M. Trétiakof, libéralement ouverte au public, forme le complément indispensable de l’exhibition officielle : là se trouvent réunis, avec les œuvres les plus marquantes de la jeune école, les quelques documens qui servent à reconstituer la courte histoire de l’art russe.

Comme bien des choses en Russie, la pratique des beaux-arts date d’hier. Durant tout le moyen âge, c’est-à-dire jusqu’à Pierre le Grand, il n’y avait de place pour la peinture que dans les églises ; elle y était condamnée par les habitudes orientales à un canon hiératique, emprunté aux vieux maîtres de Byzance et de l’Athos. Il ne s’agis-

  1. Cette lacune tient à la constitution même de musée impérial, à l’esprit qui présida à sa formation, comme on le verra plus loin, elle n’est pas imputable à l’homme de goût et de savoir qui dirige actuellement l’Ermitage : je lui offre ici mes remercîmens pour une aide qui m’a été bien souvent précieuse dans mes recherches.