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Tout autre est le caractère des travaux exécutés par l’état. Quand il se charge d’un service, il l’élève au rang de dépense nécessaire et -lui garantit, quoi qu’elle coûte, une dotation. Cette solidité est le premier danger des entreprises fondées sur le trésor public. Ceux qui les dirigent gèrent l’affaire d’un autre sans la crainte de le ruiner et sans espoir de s’enrichir eux-mêmes. Or les hommes sont peu ménagers de ce qu’ils croient inépuisable : ils ne le sont jamais de ce qu’ils n’ont pas avantage à épargner. L’attachement au devoir et la compétence des fonctionnaires choisis est une caution plus respectable que l’intérêt, mais moins sûre, et l’impartialité où ils vivent ayant quelques rapports avec l’indifférence ne suffit pas pour assurer toujours aux deniers publics l’emploi le mieux ordonné.

D’ailleurs cet emploi, n’est pas comme dans l’industrie laissé à la libre volonté de ceux qui dirigent, et la distribution du travail est comme fixée d’avance. Des établissemens existent, et l’état en les créant par sa volonté et pour son usage a constitué en leur faveur une sorte de droit à durer toujours et cela malgré lui-même. Les villes qu’ils avoisinent, les contrées qu’ils enrichissent, les industries où ils puisent deviennent solidaires de leur conservation. Le seul bruit qu’il y pourrait être changé quelque chose, sinon pour les agrandir, soulèverait les alentours au nom de la population, du commerce, des octrois. D’ailleurs les services rendus par le personnel qui s’y trouve, ses droits acquis, ses souffrances s’il était dispersé, les embarras des situations transitoires s’unissent pour effrayer les courages et empêcher tout changement. Ce qu’affronte un particulier sous le coup de la nécessité paraîtrait un acte d’inhumanité à des fonctionnaires, et c’est trop peu de dire qu’ils sont désintéressés des réformes : qu’ils consultent leur réputation, leur repos, leur cœur, il leur coûte moins d’augmenter les dépenses que de les restreindre.

Ainsi le caractère fondamental d’un travail économique, c’est-à-dire sa distribution rationnelle fondée uniquement sur l’intérêt du service et l’exacte proportion entre les forces productives des usines et la tâche qu’elles doivent accomplir, ne peut se trouver dans les entreprises de l’état. Les méthodes d’administration qui lui sont nécessaires ne chargent pas le travail de frais généraux moins considérables. Une autorité concentrée, des formalités réduites conviennent à des hommes qui administrent leurs propres affaires : un organisme si simple ne suffit pas à ceux qui gèrent les affaires de l’état. Leurs avantages et celui de l’état ne sont pas inséparables, l’abus leur serait d’autant plus facile qu’ils auraient plus d’autorité. L’état a voulu échapper à ces périls et placer, en les réduisant à l’impuissance de mal faire, ses agens au-dessus du soupçon. Diviser les fonctions, amoindrir les autorités, exiger en tout