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flottilles. Sans doute il faut des flottes, — j’ajouterai même, tant que la torpille n’aura pas fait plus sérieusement échec au canon et à la cuirasse, des flottes cuirassées. — Il faut des flottes pour occuper la mer ; mais pour tirer parti de cette occupation, il est indispensable de posséder, en même temps que la flotte, une flottille. Sans flottille, on régnera sur le vide et, depuis que le continent se suffit à lui-même, les blocus ont perdu l’efficacité qui nous les rendit jadis si redoutables ; ils ne pourraient plus affamer que l’Angleterre. N’oublions pas d’ailleurs qu’il est certaines mers et surtout certains mois, — les mois noirs, — où les blocus ne sont pas précisément faciles. On peut consulter à cet égard les marins. Si l’on entend imposer pareille surveillance à nos flottes, on fera bien de les faire nombreuses et de leur préparer des relais, car je garantis qu’elles auront quelque peine à se ravitailler et à renouveler leur approvisionnement de charbon à la mer.

Je comprends que l’empereur ébranlé par toutes les critiques de détail, par tous les doutes, par tous les avis timides qui l’assiégeaient, ait reculé devant sa première pensée et se soit résigné à ne tenter le passage de la Manche que lorsqu’il aurait pu occuper ce détroit avec les flottes réunies de Villeneuve et de Ganteaume. Des deux plans successivement éclos dans sa tête puissante je ne veux retenir que le plan qui laissait le moins de prise au hasard. Je rentre donc ici dans le programme banal des descentes protégées par une flotte victorieuse ou par l’ascendant moral qui écarte de l’arène les escadres ennemies. Je ne propose l’étude, la constitution en principe de la flottille qu’après avoir pris soin de mettre hors de question notre suprématie navale ; je demande en même temps que cette flottille soit conçue de façon à pouvoir traverser rapidement, en profitant de nos fleuves et de nos canaux, le vaste territoire qui, par une faveur inappréciable de la Providence, a des débouchés sur trois mers.

La suprématie navale ! voilà, je le répète, toute la base de mon raisonnement. Cette suprématie, je la concède sans compétition et sans jalousie à la puissance qui en a fait la loi même de son existence ; je ne reconnais pas à d’autres le droit d’y aspirer. Contemplez les richesses qui s’étalent au soleil sur tout votre littoral : voulez-vous les livrer aux chances ou tout au moins à l’appréhension constante d’un bombardement ? « Mais qui donc, direz-vous, oserait aujourd’hui songer à bombarder une place inoffensive ? » Pouvez-vous me citer un acte international qui le défende ? Je ne connais qu’un fait à l’appui de la conviction consolante que je voudrais bien partager : c’est la fameuse dépêche expédiée par le télégraphe de Paris à Balaklava aussitôt après la prise de Kinburn. « Défense