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faut un homme instruit, exercé, et qui, devant ses écoliers, paie de sa personne. Le rôle des maîtres se trouve donc changé, comme le sujet de leurs leçons. Ainsi se constitua l’enseignement nouveau, et telles furent les principales réformes que la renaissance inaugura dans l’éducation de la jeunesse. Si l’on me permet d’employer la façon de parler d’aujourd’hui, je dirai, pour les résumer en une phrase, que c’est l’enseignement secondaire qui prend le pas sur l’enseignement supérieur.

Il semble, au premier abord, que ce ne soit là qu’un changement de méthode, qui n’intéresse que les écoles ; en réalité, c’est une révolution dont toute la société va se ressentir. L’Université de Paris n’était guère faite que pour les clercs ; on ne traversait la faculté des ans que pour entrer ensuite dans celle de théologie. Occuper les dignités de l’église, jouir de la situation privilégiée qu’elle faisait à ses serviteurs, posséder les bénéfices dont elle disposait, telle était l’ambition de la plupart de ces jeunes gens qui se pressaient aux disputes de la rue du Fouarre. On peut donc dire que l’instruction préparait alors à une profession spéciale, qu’elle était réservée à une seule classe qui n’était pas très étendue et formait, dans la nation, comme une société distincte. Au contraire, les écoles de la renaissance s’ouvrent aux laïques aussi bien qu’aux clercs. Comme la science qu’on y enseigne est une sorte de préparation générale pour la vie, à quelque état qu’on se destine, on peut et l’on doit y participer. Tout y est fait pour atteindre ce but. Quand des études s’adressent à tout le monde, elles doivent être attrayantes et faciles. Aussi Ramus, l’apôtre des réformes nouvelles, nous dit-il qu’il s’est occupé surtout « d’oster du chemin des arts libéraux les espines, les cailloux, et tous empeschemens et retardemens des esprits, de faire la voye droicte et pleine pour parvenir plus aisément, non-seulement à l’intelligence, mais à la pratique et à l’usage des arts libéraux. » En même temps, il publie, grande nouveauté ! une grammaire en français, et, dans sa préface, il déclare « qu’il ne l’a pas écrite en latin pour les doctes de toute nation, mais en français pour la France, où il y a une infinité de bons esprits capables de toutes sciences et disciplines qui toutefois en sont privés pour la difficulté des langues. » Ainsi « tous les bons esprits » sont conviés à apprendre, et on leur apprend ce qui convient à tous. Sans doute on les entretient surtout de l’antiquité. Mais cette antiquité, qui fait le font des leçons qu’on leur donne, ce n’est pas pour elle-même qu’on l’étudie ; on en tire ce qui s’applique à tous les temps ; dans les héros du passé, on cherche l’homme plus que le Grec ou le Romain. De ces études de grammaire, pour lesquelles le moyen âge se contenait d’une sèche analyse de Priscien ou de Douat, la renaissance a fait une éducation générale, vivante, humaine, qui convient