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et, par lui, notre révolution. Elle convient si bien à notre tempérament, elle est tellement appropriée à notre nature qu’il nous est difficile de ne pas la pousser hors de ses limites légitimes. Cette habitude de tout rapporter à nous, de ne rechercher dans le passé que ce qui s’applique au présent, de demander à l’étude moins des connaissances précises qu’un moyen de perfectionner notre esprit, cette manie de généraliser à tout propos, de juger de tout par la vraisemblance plutôt que par la vérité, de tout simplifier pour rendre tout accessible au plus grand nombre, peuvent avoir des conséquences très fâcheuses quand on les exagère. La société qui s’y livre perd le goût de la science, qui est surtout l’étude des choses pour elles-mêmes, indépendamment de leur importance apparente et de leurs résultats immédiats ; elle prend le pli, dès l’école, de n’aller au fond de rien et de se tenir à la surface ; elle est menacée de devenir superficielle et légère. Nous avons penché de ce côté, il faut bien le reconnaître, et l’on pouvait, dès le premier jour, deviner qu’il en serait ainsi. Montaigne, l’un des esprits les plus charmans de notre race, le produit peut-être le plus agréable de la renaissance quand elle était dans sa fleur, disait de lui-même : « Je n’ai gousté de toutes les sciences que la crouste première : un peu de chaque chose, à la française. » — A la française, vous l’entendez ; il s’en vante comme d’un mérite ; nos ennemis nous l’ont depuis reproché comme un défaut, et, pour faire notre confession, je crois bien qu’ils n’avaient pas tort.

Telle était la méthode que Baduel apportait avec lui lorsqu’il vint diriger l’université de Nîmes. Il est probable qu’il la tenait de Jean ; Sturm, dont un sait qu’il était l’ami ; il est sûr qu’il comptait beaucoup sur elle pour le succès de son administration. Dès son arrivée à Nîmes, il fit connaître son programme par une petite brochure de quelques pages que nous avons conservée et qui est intitulée : de Collegio et Universitate Nemausensi. Elle est écrite dans un latin tout cicéronien qui, à lui seul, annonce déjà, le renouvellement des études. Il commence par attaquer assez vivement ce qui s’est fait jusque-là : il montre qu’on n’avait aucun soin de l’ordre dans lequel il convient d’enseigner les lettres, que tout était brouillé et confondu. « Ces vicieuses habitudes, dit-il, vont disparaître ; on suivra, dans la nouvelle école, une méthode plus conforme aux pratiques des anciens, plus appropriée aux divers degrés du développement de l’enfant et aux matières qu’on doit lui apprendre. » La principale étude cesse d’être celle de la dialectique ; elle est remplacée par les lettres : c’est sur elles que tout repose : « Le théologien ne peut expliquer purement la religion, ni le jurisconsulte les lois, ni le médecin les matières de son art, sans avoir été préalablement instruit et exercé dans les lettres. » Pour les apprendre d’une