Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/702

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prouvé, — à moins qu’il ne fût un électeur de Saxe : ou plutôt il serait aussi peu celui-ci que celui-là, mais non moins, car, à vrai dire, il n’est personne : il est un roi mis en face d’un bouffon :


Ceci c’est un bouffon, et ceci c’est un roi.


Ce n’est pas un roi plutôt qu’un autre, ni ce bouffon-ci plutôt que ce bouffon-là ; disons mieux : ce n’est aucun roi, ce n’est aucun bouffon ; ce ne sont pas des personnes morales, qui, dans telle circonstance, ont le droit d’exiger que l’auteur les fasse agir et parler de telle manière, et non pas de telle autre : ce ne sont que des porte-voix indifférens, par où le poète va jeter les plus beaux accens de son lyrisme.

Cela posé, il est superflu de confronter le drame avec l’histoire et de rechercher si tel personnage, à telle date, en tel lieu, a fait ceci ou cela, ou même s’il l’a jamais pu faire. Il est superflu de rappeler que, si François Ier fut un débauché, il fut aussi quelque chose de plus, et tout au moins un gentilhomme qui fit bonne figure de roi. Il devient même puéril de juger chaque scène de drame d’après les lois de la vraisemblance ; d’examiner s’il est admissible que tel personnage s’arrête au lieu de marcher, sorte au lieu de rester en scène, écoute au lieu de s’interrompre ou discoure au lieu de se taire. Toutes les raisons de la critique, au moins de la critique dramatique, sont tranchées d’un seul coup. Cela posé, assurément, on est libre d’admirer ce drame.

Or c’est bien pour l’admirer que le public s’était rassemblé l’autre soir ; mais à quelles conditions il pourrait le faire, c’est de quoi sans doute il ne s’était pas rendu compte : la lecture apparemment n’avait pas suffi à l’avertir. Quand le rideau s’est levé devant cette salle où tant d’admirations attendaient d’éclater, la beauté du décor et des costumes a d’abord signifié à tous les yeux que cet ouvrage était bien le chef-d’œuvre espéré. Ce n’est pas pour prononcer des paroles de peu de prix que des seigneurs vêtus de si riches étoffes se réunissent aux sons d’un orchestre caché, sous de si riches lambris. Triboulet paraît, sa marotte à la main : il va illuminer cette fête des fusées de son esprit. Cependant ces fusées s’enlèvent lourdement ; ce ne sont que des feux bas. Les lazzi des seigneurs n’ont pas plus d’aisance ni de vivacité que ceux du fou. Le roi s’amuse, ils le déclarent : on juge qu’il s’amuse de peu. Cependant on se dit que la gaîté du poète fut toujours une gaîté de géant, — la formule est consacrée ; — on attend que le géant se fasse grave et qu’il introduise Saint-Vallier ; on se résigne, on prend patience. D’ailleurs on accuse un peu de l’ennui que l’on commence d’éprouver la majesté de la Comédie-Française. On se rappelle que le poète a écrit en tête de ce premier acte : « Une