Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/856

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

incessantes des majorités, mais par de hauts fonctionnaires que désignent soit le suffrage universel, soit le parlement. S’ils remplissent bien leurs fonctions, ils sont ordinairement renommés, et je pourrais citer ainsi dans les divers états plusieurs « surintendans de l’éducation » qui sont considérés comme inamovibles. Il y aurait grand avantage à appliquer ce système en Europe, dans les départemens qui exigent impérieusement l’esprit de suite, comme la guerre, l’instruction et les travaux publics. Ces surintendans, nommés par la chambre, en raison de leurs aptitudes spéciales, seraient révocables et responsables ; mais, soustraits aux soins et aux vicissitudes des luttes parlementaires, ils pourraient appliquer leurs connaissances et leur activité au bi en général avec autant de succès que l’ont fait les bons ministres sous le régime autocratique.

Je ne puis ici qu’effleurer ces idées. Ce qui est évident et ce qui le paraîtra davantage encore à mesure que l’état social et les institutions deviendront plus démocratiques, c’est que le régime parlementaire, tel qu’il est pratiqué maintenant dans les pays où règnent à la fois la démocratie et la décentralisation, exige impérieusement une réforme. Il est peu probable qu’un grand état, avec une grande armée, consente à être indéfiniment le jouet des majorités mobiles d’une chambre ou la matière à expérimentation de ministères semestriels. Son infériorité, relativement aux pays gouvernés avec une autorité prévoyante et des vues suivies et réfléchies, deviendrait trop périlleuse et trop poignante. Les institutions les plus démocratiques peuvent assurer la paix, la prospérité et le progrès, mais à certaines conditions que nous offrent, par exemple, la fédération helvétique absolument décentralisée, les États-Unis sans ministère parlementaire et certains états où les chambres ne se réunissent que tous les deux ans. L’omnipotence des chambres dans une république constituée comme un empire, mais sans grands partis constitutionnels, est une source d’agitations stériles et une cause d’inquiétudes qu’une nation vouée au travail et soucieuse de son avenir ne supportera pas toujours. Le plus grand et peut-être le seul danger qui menace la république en France, c’est donc l’imperfection du régime parlementaire.

M. de Bismarck a dit en 1869 : « Le gouvernement de cabinet est une sottise et un fléau dont l’Europe ne tardera pas à se guérir. » Il ne faut pas que les parlemens en France et en Italie lui donnent trop raison, car la liberté et le régime représentatif seraient en grand danger sur notre continent.


EMILE DE LAVELEYE.