Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/900

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses habitudes et qu’il aille faire le sabbat avec les chats, s’écria le colonel.

— Ah ! ces maudits chats ! riposta ma mère ; Algy, vous ne leur avez pas fait la chasse ces jours-ci, et ils sont plus insupportables que jamais ; votre fusil à vent doit se rouiller.

En ce moment, je priai le colonel de passer le vin de Bordeaux. Quelle ingénieuse idée ! s’écria Travers avec la voix timbrée et vibrante des gens du barreau. Êtes-vous heureux à ce genre de chasse ?.. Ah ! un fusil à vent pour tuer les chats.. Ah ! ah ! ah !.. Et il se tordait littéralement de rire.

— Très heureux ! répliquai-je en rougissant jusqu’au blanc des yeux !

— Algy est un excellent fusil, continua ma bonne et naïve mère. Quand nous habitions Hammersmith, il avait un revolver et s’amusait, après avoir jeté des miettes de pain dans le jardin, à tirer sur les moineaux par une des fenêtres de la cuisine.

Le colonel, sur qui ces souvenirs sportiques ne faisaient pas grand effet, s’écria : — Surtout n’allez pas vous tromper et tuer Bingo ; vous en auriez presque le droit, mais, je vous en prie, n’en usez pas. Je ne pourrais passer deux fois par semblable épreuve.

— Si vous ne voulez plus rien accepter, m’empressai-je de dire au colonel et à Travers, je vous proposerai d’aller prendre l’air au jardin ; il fera plus frais qu’ici.

J’étouffais, et pour cause, dans la maison.

Je confiai à Travers l’agréable devoir de tenir compagnie aux dames ; maintenant, je n’avais plus rien à craindre de lui ; je profitai de l’occasion, en arpentant une des allées du jardin, pour solliciter du colonel son consentement à mon mariage avec son adorable nièce.

— Il n’existe pas dans le royaume-uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande un autre homme à qui je donnerais la préférence, me répondit-il en me serrant la main. Aux qualités les plus sérieuses de l’esprit vous joignez celles du cœur ; quant à l’argent, bien qu’on dise que la richesse ne fait pas le bonheur, soyez sûr que Lilian ne vous arrivera pas sans le sou. Vous n’avez pas l’idée, mon ami, à quel point, ma femme et moi, nous vous sommes reconnaissans de ce que vous avez fait pour nous. Mais qu’est-ce qui prend donc à Bingo ? qu’est-ce qu’il a ?.. Voyez donc.

À ma stupéfaction profonde, inénarrable, j’aperçus, en effet, le caniche qui, après être resté quelque temps caché sous la table à thé, était allé se poster dans un endroit bien en vue et se tenait debout sur la tête, les pattes en l’air. Chacun se rapprocha pour le mieux regarder se balancer dans cette position anormale.