sans écraser personne. Les femmes, portant à leur corsage la carte rose, se hâtent vers les tribunes déjà pleines ; en arrivant, elles jettent un regard anxieux sur les rangs pressés qui garnissent les banquettes du pourtour, songeant avec effroi qu’il leur faudra peut-être rester debout pendant toute la séance, — ce qui serait infiniment plus fatigant que de franchir à pieds joints tous les obstacles dont est semée la piste.
Le défilé des attelages tire à sa fin ; des voitures de toutes formes se croisent dans le manège, menées savamment par des cochers experts, qui précipitent l’allure, à mesure qu’approche l’instant du signal à l’audition duquel les zigzags enchevêtrés et arrondis de ces roues en délire devront se démêler et s’étendre, pour aller se perdre dans la coulisse, comme les anneaux déroulés d’une farandole d’opéra. Au roulement formidable de ces véhicules affolés, qui tournoient dans une poussière lumineuse, se mêlent les voix de cuivre de l’orchestre militaire achevant son dernier morceau, ainsi que le tintement saccadé des colliers de deux équipages de poste décrivant des ronds et des S au galop de leurs chevaux, fouaillés à tour de bras, mais dirigés avec une étonnante sûreté de main par des postillons classiques, dont le chapeau ciré miroite sous le soleil, tandis que la poudre de leurs perruques à cadenette s’envole en s’irisant dans la clarté de l’immense vaisseau qu’inonde la lumière. La cloche sonne à deux ou trois reprises, mais sans succès ; on dirait que, frappés de vertige, chevaux, cochers et postillons sont emportés dans une ronde infernale qui ne doit finir qu’avec le souffle des bêtes, avec la vie des gens. Alors, les membres du jury et leurs agens se précipitent dans l’arène, adressant aux automédons grisés de bruit, de poussière et d’entrain, des gestes impérieux, des injonctions désespérées. Enfin, quelques-uns se rendent et se décident à gagner la porte ; bientôt, d’autres suivent, et, après un quart d’heure d’efforts généreux d’une part, de résistance enfiévrée de l’autre, le manège est évacué. — La première fanfare de chasse se fait entendre. Des soldats viennent ratisser les abords des obstacles et remettre en place les barres et les claies déplacées pour le défilé. Le chef de l’état, en retard, arrive de son pas tranquille, en homme qui vient s’amuser malgré lui, en homme qui fait partie de toutes les fêtes de quelque importance au même titre que les trophées de drapeaux, les écussons civiques aux initiales de la république et autres accessoires patriotiques. — Seconde fanfare des sonneurs de trompe placés dans les galeries supérieures. Un cheval se présente à l’entrée de la lice, puis y pénètre au galop ; arrivé devant le jury, le cavalier salue, donne son bulletin de pesage et attend le coup de cloche. Au signal, prenant du champ, il se lance sur le premier obstacle, une simple claie mal étayée, qui tombe à la moindre éra-