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en entraver l’accomplissement. Et puis, que n’eût-on pas dit un peu plus tard? Les adversaires politiques et les ennemis particuliers de cette famille auraient d’abord insinué, bientôt proclamé qu’elle avait fui le jugement du pays. On aurait imprimé dans cinquante journaux que, si les princes dépossédés avaient, en exigeant le retrait du projet, empêché le débat et le vote, c’est qu’ils redoutaient par-dessus tout la lumière ou qu’ils craignaient d’être mis en minorité.

D’ailleurs on leur offrait une occasion, peut-être unique, de venger la mémoire de Louis-Philippe, et pas un d’eux, sous peine de faillir à un devoir manifeste, ne devait la laisser échapper. Les considérans du second décret avaient été cruels pour le roi déchu. On l’y accusait d’avoir soulevé la conscience publique par une mauvaise action, enrichi ses enfans aux dépens du trésor, éludé une règle fondamentale et immuable du droit national français, fait fraude à une loi d’ordre public, dicté aux deux chambres une loi rétroactive dans un intérêt privé. Quoi ! le pays lui-même s’apprêtait à rayer de ses lois cette page outrageante, et les descendans de Louis-Philippe auraient demandé qu’elle y fût maintenue ! Le gouvernement, après tout, ne pouvait que proposer d’effacer l’injure : quand il passait, pour qu’elle fût enfin effacée, la parole à la France, les enfans de l’insulté eussent perdu le sens s’ils avaient cherché à la lui retirer.

Mais, puisqu’ils devaient laisser les pouvoirs publics annuler le titre du domaine, quel allait devenir leur droit strict? Il faut relire l’exposé des motifs : « Il appartient, disait-il, à cette assemblée, qui considère comme un de ses premiers devoirs de rétablir l’ordre moral dans les esprits et, pour cela, de s’élever partout où elle les rencontre, contre l’injustice et contre l’illégalité, de proclamer que la France ne veut pas être solidaire de l’atteinte portée dans la personne des princes d’Orléans au droit fondamental de la propriété individuelle. » — « Le projet, a dit encore M. Brisson le 23 novembre 1872, repose sur cette idée que, les biens de la famille d’Orléans n’étant entre les mains du domaine qu’illégitimement, le domaine est tenu à l’obligation naturelle de les restituer comme est tenu à cette obligation naturelle tout citoyen qui a reçu indûment. » C’est très clair : le titre du domaine est vicieux, d’après MM. Thiers, Dufaure et Pouyer-Quertier, parce qu’il repose sur une illégalité; il repose sur une illégalité parce qu’il procède d’une atteinte portée au droit de propriété. En effet, quoiqu’il paraisse d’abord assez difficile de caractériser cet acte, œuvre d’un dictateur investi de la puissance législative et précédé de considérans à la façon d’un jugement, on arrive nécessairement, après examen, à l’envisager, entant du moins qu’il dépossède les princes, comme un décret rendu en exécution d’une prétendue loi fondamentale. C’est la loi générale