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de dévolution que le prince président applique à un cas particulier, il le déclare lui-même à plusieurs reprises, et l’on ne fait pas une loi, tout le monde le sait, en exécution d’une loi. Il est vrai que le prince a été induit en erreur et que la loi dont il se prévaut est une pure chimère. Que reste-t-il donc? Un décret d’expropriation doublement illégal : 1° parce qu’il est rendu hors des cas déterminés par le législateur ; 2° parce que, au mépris de la règle écrite dans l’article 545 du code civil, il enlève à des Français leur propriété sans leur allouer une juste et préalable indemnité. Le mot « illégalité » qu’emploie l’exposé des motifs du 9 décembre 1871 n’aurait pas de sens si le président de la république avait agi le 22 janvier dans l’exercice de son pouvoir législatif; mais on a bien fait de s’en servir (et la portée de cette expression n’avait pu échapper à M. Dufaure), parce qu’il s’agissait d’une confiscation opérée par un simple décret. Si le pouvoir législatif intervient lui-même en 1872 pour abroger l’acte du 22 janvier 1852, c’est d’abord que d’autres dispositions du même acte pouvaient être regardées comme législatives ; c’est surtout qu’il fallait prévenir un débat ultérieur sur la légalité de cette abrogation et, pour en finir, faire trancher la question par les mandataires élus du pays. Mais puisque ceux-ci jugent le décret illégal et l’annulent par cela même, un pareil titre n’avait pu conférer aucun droit au domaine.

Dès lors, le code à la main, les princes étaient fondés à réclamer tout leur patrimoine. En droit strict, ils devaient être remis, suivant l’expression de Clément Laurier, « dans le même et semblable état où ils étaient avant le décret. » S’il s’agissait d’un simple charbonnier, poursuivait Laurier, vous lui rendriez son bien « purement et simplement. » En effet, si le domaine avait pris indûment la maison du charbonnier, celui-ci pourrait la réclamer, même quand on l’aurait vendue, l’état n’ayant pas consolidé son titre en disposant de ce qui ne lui avait jamais appartenu. Il n’importait pas davantage que, sur un grand nombre de biens immobiliers appartenant à la famille d’Orléans, ceux-ci fussent restés au trésor, ceux-là fussent sortis de ses mains : les propriétaires dépossédés avaient un droit égal sur les uns et sur les autres, le code civil (article 1599) déclarant expressément nulle la vente de la chose d’autrui.

Or les princes d’Orléans tinrent ce langage au gouvernement et à l’assemblée : d’après le droit commun, nous pourrions ressaisir tout notre patrimoine ; nous entendons ne pas user du droit commun. Le code civil nous permet de revendiquer la moindre parcelle de nos biens confisqués, en quelques mains qu’elle se trouve; nous demandons qu’on ne nous applique pas le code civil. Si nous délaissons une part de ces biens aux tiers acquéreurs, nous sommes du moins autorisés par les lois du 8 mars 1810, du 18 septembre 1833,