Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/157

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le sultan de Constantinople. Je crois que celui-là, du moins, parmi les musulmans, doit bénir Allah de pouvoir demeurer en sûreté dans sa maison, sous la protection bienveillante des baïonnettes du régiment Jellachich.


IV.


Doboj, 23 mai.

C’est à cheval que nous avons quitté hier Techanj, montés sur deux bidets de montagne aussi intelligens que leurs propriétaires. Nous sommes escortés cette fois de deux fantassins qui doivent se relayer aux postes de la route, et après cinq heures d’une marche pittoresque, nous arrivons à Doboj avec une telle boue que, ma petite monture enfonçant profondément, le pied de mes bottes entrait dans le bourbier.

A la première halte de la route, nous avons déjeuné chez de pauvres raïas catholiques. Leur maison se compose d’une cabane en bois d’une seule pièce, sans plafond et sans cheminée ; la fumée sort par les fontes du toit. Quand je pénètre en me baissant dans cette misérable tanière, on prépare notre déjeuner demandé par notre escorte et on est véritablement enfumé. Une femme et des enfans sont pourtant là, occupés de notre pitance, tandis que quatre ou cinq hommes, assis à terre, les jambes croisées, autour d’un plat de bois contenant des légumes bouillis, terminent leur repas. Ils se lèvent quand nous entrons, et ceux qui n’ont que des fez sans turbans les retirent. La femme salue en mettant la main sur son cœur. Comme la fumée est réellement insupportable pour nos nez et nos yeux civilisés, on installe dehors, à l’ombre d’un gros prunier, deux petits tonnelets vides qui nous servent de sièges et une petite table basse dans le genre des escabeaux moresques que l’on voit partout. On nous sert une omelette dans une assiette à laquelle nous puisons à tour de rôle, Z... et moi; pour boisson, de l’eau fraîche prise à un petit affluent de la Jablanitza qui passe à deux pas de la cabane.

Peu à peu, la méfiance avec laquelle, — quelque grâce et quelques piastres qu’on y mette, — on est toujours reçu par de pauvres diables ignorans à qui on vient demander à déjeuner manu militari, fit place à une certaine familiarité, surtout quand ils surent qu’ils n’avaient pas affaire à des Allemands ou à des Hongrois, mais à un Franghi et à un Serbe; et quand nous eûmes répondu à leur curiosité, bien vite satisfaite du reste, sur la France, — dont ils