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craignaient d’être persécutés et empêchés de pratiquer leur religion, il donna au père provincial un firman lui accordant, avec la liberté du culte pour ses ouailles, et la dispense de la capitation pour les religieux, le monopole de l’enseignement catholique en Bosnie et en Herzégovine, puis il lui mit, dit-on, sur les épaules, en signe d’investiture, un riche pallium : ce morceau d’étoffe orientale, bleu, à fleurs d’or, est encore, ainsi que le firman, conservé au trésor du monastère de Fojnitza. Ceci se passait en 1463.

Cette intelligente tolérance ne fut cependant pas de longue durée : les musulmans bosniaques qui avaient embrassé la nouvelle religion bien plus en vue des avantages personnels qu’ils devaient en retirer que par conviction religieuse, devinrent peu à peu plus zélés, soit qu’ils voulussent mériter par ce zèle les faveurs du vainqueur, soit que la lutte sourde qui devait nécessairement exister entre ces seigneurs mahométans et leurs raïas restés chrétiens eût peu à peu excité leur fanatisme; peut-être aussi, la Porte, dans une vue de domination et pour diminuer l’influence de la puissante féodalité de ses nouvelles provinces à attiser la haine entre les exploitans et les exploités, se prêta-t-elle volontiers à tout ce qui pouvait rendre plus profond l’abîme qui séparait les raïas et les begs : toujours est-il que la persécution sévit bientôt sur les églises catholiques, et que vers le milieu du XVIe siècle tous ses couvens étaient détruits ou ruinés, et l’exercice du culte catholique interdit sous les peines les plus sévères. En 1566 cependant, les catholiques eurent la permission de se bâtir des églises et des couvens en bois et en terre non cuite ; quant aux curés, ils étaient errans. C’est de cette époque que datent les premières constructions des trois anciens monastères franciscains de Bosnie, savoir: ceux de Fojnitza, de Sutiska et de Kretchevo, qui, pendant de longues années, n’ont réussi à se maintenir qu’à force d’argent donné aux autorités turques et auxquels sont venus s’ajouter depuis le traité de Paris, en 1856, ceux de Gouciagora, Livno, Tollissa et Plehan, sans parler d’un dernier en construction à Banjaluka. Il y a maintenant en Bosnie deux cents prêtres catholiques et en Herzégovine une soixantaine dépendant de deux couvens : ceux de Tchiroki-Brjeg et de Humac.

La guerre de Crimée eut, en effet, par un bizarre résultat de la politique européenne, un contre-coup favorable aux chrétiens de Bosnie. Par le traité de Paris, l’Autriche, — qui, comme on le voit, a depuis longtemps des idées de domination sur les provinces jougo-slaves de la Turquie, — fut reconnue protectrice des catholiques de Bosnie et d’Herzégovine; elle ne perdit pas de temps pour établir son influence, et de larges subventions, dues surtout à la munificence des empereurs Ferdinand et François-Joseph, permirent la