Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/176

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

puis, au bout d’une heure et demie de marche au trot, elle atteint le bas de la montagne qu’il faut gravir pour passer de la vallée accessoire de la Lebenitza dans la vallée principale de la Bosna. On franchit cette montagne à l’aide d’une nouvelle route qui a remplacé l’ancienne voirie turque et qui fait le plus grand honneur à la compagnie du génie qui l’a construite et qui a inscrit glorieusement son nom au sommet du col. Et elle a eu bien raison de le faire : il est bon partout, et surtout dans ce pays où la paresse est l’industrie nationale, de montrer que le travail est un honneur et qu’une compagnie du génie militaire s’illustre au moins autant en construisant une route qu’en donnant des coups de fusil. D’ailleurs, quand on voit ces braves pionniers occupés à casser leurs pierres à grand renfort de masses, exposés au soleil brûlant dont ils s’efforcent de diminuer l’ardeur insupportable au moyen de branchages piqués en terre, — pendant que les indigènes chrétiens dorment et que les Turcs se gobergent dans leurs cafés, — on comprend qu’ils aient eu la gloriole de faire passer à la postérité le nom de leur famille militaire, honorée par leurs sueurs. Je suis bien certain, néanmoins, que leur avis ne serait pas négatif si on les consultait sur une bonne loi de prestations obligatoires pour tous, chrétiens et musulmans... et ce serait justice !

En arrivant au bas de la côte, on traverse le fleuve Bosna, qui sort, non loin de là, du mont Igman, où ses nombreuses sources se réunissent tout de suite pour former une belle rivière de 20 mètres de large qui fertilise la riche plaine de Serajewo, Serajsko polje. On se rend compte sans peine, en la voyant de cet endroit, du motif qui a fait placer historiquement et économiquement la capitale de la Bosnie dans la plaine de Bosnaï-Seraï; cette (plaine est, en effet, la plus large vallée de la province, et une grande ville pourrait assez facilement y trouver sa subsistance; partout ailleurs, il eût fallu des transports énormes pour nourrir la population.


Vte DE CAIX DE SAINT-AYMOUR.