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dans une si singulière vaisselle ; enfin le troisième, à la rencontre d’une vieille voie, probablement de construction romaine, qui, malgré ses ruines et son délabrement, fait tache dans ce pays abandonné.

Après ce dernier point, la vallée s’élargit définitivement pour se confondre, au pont de Kisseljak (appelé sur les cartes Fojnitza cupria) avec celle de la Lebenitza, que nous traversons, non sans nous arrêter sur ce pont d’où l’on jouit d’une vue magnifique : de belles croupes de montagnes, bien boisées, encadrant le paysage et descendant jusqu’au fleuve; puis, au fond, la grande masse du Zetz-PIanina (la montagne des lièvres), dont tous les sommets sont encore couverts de neige.

... Kisseljak[1], qu’un des rares voyageurs qui l’a visité sous la domination turque appelle un peu emphatiquement le fashionable Spa bosniaque, est un petit village, joliment situé sur la rivière Lebenitza; la source sort de terre, à dix mètres à peine du fleuve, au centre d’une vasque de pierre, abritée sous un kiosque de style oriental. Il y a dans la localité un hôtel-hôpital, sorte de maison de santé où les malades viennent prendre les eaux et qui est le plus bel édifice privé que j’aie encore vu en Bosnie, en dehors des couvons franciscains. C’est là que se logent les gens à l’aise; les baigneurs, — car on se baigne aussi à Kisseljak, — moins fortunés, se gîtent où ils peuvent; quant aux pauvres diables, ils campent tout bonnement, à la façon des Bohémiens nomades, sur toutes les pentes de la vallée. Le système de cure est des plus primitifs : entre qui veut, chacun emplit son verre en le plongeant dans la source. L’eau minérale de Kisseljak n’est pas désagréable au goût et ressemble assez à une eau de Seltz ferrugineuse ; elle est bonne, dit-on, pour les maux d’estomac.

Les sources minérales sont, du reste, assez nombreuses en Bosnie. On en trouve d’analogues à celle de Kisseljak, près du han de Belalovatch, non loin de Busovatcha, près de Slatina et de Capina, et à Banjaluka, qui en a pris son nom (Banja, Balnea). A l’entrée de la plaine de Serajewo, au village de Hitché, et dans un site charmant, il y a même une source chaude sulfureuse qui était autrefois très fréquentée par les officiers et soldats turcs de la garnison et qui partageait avec Kisseljak, à cause de son voisinage de la capitale, la faveur des habitans de Serajewo.

En effet, nous ne sommes plus ici qu’à une bien petite distance de la ville. La route, à partir de Kisseljak, suit d’abord la large plaine bordée de collines moyennes et assez bien cultivées;

  1. De Kisseljak : minérale (sous-entendu voda : eau.)