situation précaire qu’il se créait à lui-même. Il avait fait tout le contraire de ce qu’il aurait dû faire. Au lieu d’appeler au pouvoir avec lui des hommes qui auraient pu être une force pour le gouvernement, il fabriquait un ministère de fantaisie avec ses amis et ses confidens, avec toute sorte de personnages qui devenaient aussitôt l’objet d’une curiosité ironique en Europe comme en France. Au lieu de s’attacher à une politique libérale et habilement mesurée, faite pour gagner l’opinion, pour rallier tous les esprits sincères, il se livrait tout entier à une politique de parti, de caprice personnel ou d’aventure.
Il procédait en omnipotent, distribuant les fonctions comme les faveurs, prétendant imposer le scrutin de liste à une chambre récemment élue, brouillant tout, — et en moins de trois mois il avait trouvé le moyen d’accumuler assez de méprises, assez d’équivoques et d’emportemens pour soulever tous les orages. M. Gambetta avait trop présumé de ses forces et de sa popularité. Il prétendait dompter la chambre eu flattant quelques-unes de ses passions, régenter les radicaux, violenter les modérés ; il avait bientôt mis tout le monde contre lui et au premier choc décisif il disparaissait, perdant d’un seul coup le prestige qu’il avait gardé jusque-là, laissant une situation troublée, son propre parti divisé, l’opinion confondue de voir des dons brillans unis à si peu de jugement. Qu’on répète encore, comme on le disait récemment, que M. Gambetta est un « grand patriote, » soit : c’est un témoignage de sympathie envoyé à un homme aujourd’hui malade. Cela n’empêche pas que le « grand patriote » est tombé parce qu’il a manqué de discernement, et ce qu’il y a de plus grave, c’est que dans une occasion nouvelle, il recommencerait encore, — tant il semble peu soupçonner tout ce qui l'a perdu il y a un an.
Première expérience ou première aventure de 1882 ! Après M. Gambetta, c’était M. de Freycinet, qui se trouvait chargé de la seconde représentation de la politique républicaine, et, à dire vrai, la position de ce nouveau cabinet ne pouvait être ni simple, ni facile en face d’une majorité dont une fraction, attachée au ministère du 14 novembre 1881, gardait l’amer ressentiment de la défaite. M. de Freycinet se flattait sans doute d’apaiser les irritations, de rallier cette majorité qui venait de se scinder si violemment, de jouer le rôle d’un modérateur,— d’un médiateur entre les diverses fractions républicaines. C’était, dans tous les cas, un modérateur singulier qui mettait sa tactique à aller chercher un appui jusque dans les camps les plus extrêmes, atout céder avec douceur, à abandonner les idées les plus simples, les garanties les plus nécessaires de gouvernement, avec des dehors parfaits de modération. Sous le voile de prises en considération réputées sans conséquence, il laissait tout passer ; il se prêtait complaisamment à tout ce qu’on pouvait proposer sur la séparation de l’église et de