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qui a été interpellé dans le parlement de Pesth. M. Tisza n’a point hésité à déclarer, pour la satisfaction de son parlement, que tout ce qu’on disait des armemens de la Russie était une exagération, que la situation diplomatique n’était nullement en péril, qu’il n’y avait absolument rien à craindre pour la paix de l’Europe. M. Tisza n’est point sans doute le ministre des affaires étrangères de l’empire austro-hongrois, et le ministre des affaires étrangères de l’empereur François-Joseph, le comte Kalnoki lui-même n’est pas M. de Bismarck, dont la parole serait bien autrement décisive pour éclaircir tous les doutes ; mais enfin, ce qui se dit en Hongrie, dans un pays de liberté universelle, a sa valeur, et M. Tisza n’aurait pas parlé comme il l’a fait s’il n’avait pas connu la vérité des choses, s’il n’avait pas su ce qu’il y a d’assez factice dans ces polémiques, dans ces agitations d’un jour.

Au fond, que resterait-il donc de tous ces bruits qui, de temps à autre, se répandent à la surface de l’Europe pour s’éteindre bientôt ? Ce qu’il y a de bien clair, c’est que, s’il existe des difficultés ou des défiances entre de grands gouvernemens, il n’y a pas pour le moment d’irréparables incompatibilités, c’est que, s’il y a des déplacemens d’intérêts et de relations, il ne s’ensuit pas que ces évolutions doivent conduire par le plus court chemin à de meurtrières scissions. Autrefois la Russie était l’amie, l’alliée invariable pour l’Allemagne ou plutôt pour la Prusse, et la dernière expression de cette vieille cordialité a été ce qu’on a appelé un instant l’alliance des trois empereurs. Aujourd’hui, tout a changé, il n’y a plus d’alliance des trois empereurs ; il n’y a que l’alliance des deux empires du centre, et ce qui reste aussi parfaitement évident, c’est que cette alliance ne semble nullement menacée. L’Allemagne et l’Autriche paraissent assez disposées à se suffire à elles-mêmes ; elles n’excluent précisément personne, elles ne recherchent personne, pas plus l’Italie que la Russie, qui pourtant, l’une et l’autre, auraient parfois bonne envie d’être admises à l’intimité et qui ne semblent guère réussir dans leurs tentatives. Après tout, cette alliance austro-allemande, quelle qu’en ait été l’inspiration première, elle n’a rien de menaçant pour la paix, et la paix est certainement le premier besoin comme le premier vœu des peuples dans cette année qui va s’ouvrir aussi bien que dans l’année qui s’achève aujourd’hui.


CH. DE MAZADE.