rang si élevé avait disparu dans le gouvernement et dans la nation. Il restait sans doute dans la nation beaucoup de forces et de grandes ressources, mais elles étaient vaines sous le gouvernement d’une bande d’intrigans sans conscience, de misérables médiocrités, de débauchés vaniteux. » La Prusse se trouva ainsi devant la France triomphante avec un gouvernement sans assiette, une nation en désarroi, une diplomatie déconsidérée. De l’œuvre de Frédéric il ne restait plus que son armée : Napoléon l’anéantit.
Dans cette catastrophe, il semblait que l’état prussien allait s’écrouler et le nom même de la Prusse disparaître de la carte d’Europe. La décadence était prononcée depuis longtemps ; c’était à un moribond condamné par tous les docteurs politiques du siècle que Napoléon avait porté le dernier coup. La Prusse se releva cependant, elle sortit régénérée de cette terrible épreuve. Les hommes qui conçurent ce grand ouvrage, les élémens au moyen desquels ils l’accomplirent, existaient au moment même où la chute se préparait ; mais ils passaient inaperçus. » La Prusse n’a qu’une façade sur l’Europe, » disait l’abbé de Pradt. Cette façade, élevée à la hâte avec des matériaux hétérogènes, se lézardait déjà du temps de Frédéric ; il était aisé d’en prévoir l’écroulement. Mais on ne voyait pas qu’il y avait au-dessous des fondations profondes et solides, sur lesquelles, les décombres déblayés, des architectes habiles pourraient reconstruire un édifice nouveau plus ferme que le premier et dont tous les matériaux avaient été patiemment accumulés alentour par les anciens rois.
La nation en Prusse était artificielle comme l’état. C’était, suivant le mot ingénieux d’un historien, une mosaïque savamment composée[1]; mais la mosaïque était compacte et solide : elle faisait corps. Les institutions avaient fondu ces populations d’origine diverse et en avaient formé une race à part, qui n’avait point de langue spéciale ni de caractères physiologiques particuliers, mais qui possédait un caractère et des tendances qui lui étaient propres. L’état, en ce pays, était à la fois rationnel et national. Au-dessous du réseau de la bureaucratie, au-dessous de la surface agitée et de l’écume des grandes villes, il restait dans les provinces une masse d’hommes animés des mêmes aspirations, habitués à vivre les uns près des autres, à servir le même maître, à aimer la même patrie et chez lesquels s’était développée cette espèce d’esprit
- ↑ Lavisse, Études; Formation de l’état prussien. Leçon d’ouverture faite à la Sorbonne.