la marche et l’ordre des choses; unissant, dans ses prévisions, l’avenir au passé ; unissant aussi, dans ses actions, sa vie à celle des autres hommes, non-seulement dans son intérêt, mais dans celui de sa famille et de tous ceux auxquels il est lié par l’affection ou par le devoir ; sachant enfin, quand il peut échapper aux soucis des affaires, placer son objet propre dans la recherche désintéressée du vrai, dans la conception et la réalisation d’un idéal de beauté et de vertu. M. Bouillier, qui cite et commente cette belle page, rattache à la conscience ces parties élevées de la nature humaine. Elles sont l’objet de la conscience morale, de cette « immortelle et céleste voix, » que Rousseau, d’accord avec le langage ordinaire, appelle simplement la conscience. La conscience morale n’est en effet qu’une forme de la conscience de soi-même. C’est la conscience de nos idées, de nos sentimens, de nos actes au point de vue moral ou, en d’autres termes, la conscience de ces élémens supérieurs de notre nature qui font de nous, tout ensemble, les interprètes et les exécuteurs de la loi morale ; c’est la conscience de notre nature raisonnable, c’est-à dire de ce qui nous distingue proprement des animaux et nous fait vraiment hommes, La conscience ainsi entendue n’est autre chose que la raison.
Les animaux sont-ils entièrement étrangers à toutes les fonctions de la raison énumérées par Cicéron? Comme le dit très bien M. Janet, l’animal « ne pourrait pas même vivre, » s’il n’avait aucune prévision, aucun sentiment de l’ordre et de l’enchaînement des choses. On ne peut non plus lui refuser des sentimens souvent très vifs de sociabilité et d’altruisme. Il semble enfin manifester quelquefois un certain sentiment du beau, et peut-être même, comme les petits enfans, un certain sentiment du juste et de l’injuste. Ces sentimens, à leur plus bas degré, chez l’animal et chez l’homme lui-même, attestent l’intelligence; mais ils ne s’élèvent pas jusqu’à la raison, dans le sens propre et vrai du mot. La raison est essentiellement la conception de l’universel et de l’idéal. Elle n’est pas seulement la reconnaissance d’un certain enchaînement, d’une certaine causalité, d’une certaine finalité, d’une certaine beauté ou d’une certaine justice, qui peuvent se manifester dans les choses; elle rapporte cet enchaînement, cette causalité, cette finalité, cette beauté, cette justice à des lois nécessaires et universelles et à un ordre idéal, dont la réalité la plus parfaite n’est jamais qu’une image affaiblie. Voilà ce que reconnaît proprement la raison et ce que les plus hardis paradoxes n’ont jamais attribué à l’animal.
On se fait une fausse idée de la conscience et de la raison quand on ne les considère que comme des facultés intellectuelles. « La conscience, dit très justement M. Bouillier, n’est pas seulement