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coexistante, comme le dit Hamilton, à toutes les facultés de l’intelligence, mais à toutes les facultés de l’âme sans exception. » La raison, dans une sphère moins étendue, embrasse également, sinon la totalité des faits psychologiques, du moins leurs manifestations les plus élevées dans tous les ordres de facultés. Elle est, à tous les points de vue, la forme supérieure de la vie consciente. Elle a non-seulement ses idées, mais ses sentimens propres, qui peut-être précédent ses idées : les sentimens esthétiques, les sentimens moraux, les sentimens religieux. Elle revendique au même titre le plus haut degré d’activité : la volonté responsable de ses actes, la liberté morale. La meilleure classification des faits de conscience consisterait, non à les distribuer en des compartimens séparés, affectés à des facultés distinctes, mais, comme l’a tenté à plusieurs reprises Maine de Biran, à y reconnaître les étages superposés d’une sorte de pyramide[1]. L’étage supérieur serait occupé par la raison, par cette vie supérieure de l’esprit, comme l’appelle Maine de Biran, qui en aurait donné la vraie théorie, s’il n’y avait malheureusement introduit les exagérations et les illusions du mysticisme. Les doctrines évolutionnistes, qui tendent à renouveler à la fois la philosophie des sciences et la philosophie pure, se prêteraient très bien à cette façon de considérer les faits de conscience. Elles expliquent en effet tous les phénomènes de la nature par l’ascension des êtres depuis la matière inorganique jusqu’à l’animalité consciente et, dans l’animalité elle-même, elles reconnaissent ou elles attendent une ascension du même genre depuis les animaux inférieurs jusqu’à l’humanité idéale, en possession de la civilisation la plus parfaite et de la plus haute moralité. L’apparition de la raison dans l’homme peut donc être l’effet de l’évolution animale, et le perfectionnement de la raison elle-même peut être une dernière application de la loi d’évolution.

L’erreur des écoles expérimentales qui ont cherché un point d’appui dans les doctrines évolutionnistes est de ne voir dans la raison qu’un développement de l’expérience et un produit indirect de la sensation; c’est, en un mot, suivant la forte expression de M. Ravaisson, d’expliquer le supérieur par l’inférieur. L’évolution veut sans doute que la vie propre de l’homme, la vie de la raison, sorte de la vie animale, comme la vie animale sort elle-même de la

  1. M. Bouillier a vengé les facultés de l’âme du dédain excessif qu’affectent pour elles les nouvelles écoles de philosophie. Elles n’ont jamais été, pour ceux qui les ont reconnues et qui en ont entrepris l’étude, des entités métaphysiques; mais on a trop souvent établi entre elles des démarcations trop tranchées, eu les déclarant irréductibles les unes aux autres. Chacune d’elles n’est qu’un aspect d’un être unique et indivisible, et les domaines divers qu’on leur assigne pour la commodité du langage psychologique sont perpétuellement confondue.