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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/343

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la plus complexe et la plus riche, méconnaître l’unité ; nous devons, au contraire, reconnaître en nous une double unité : la simplicité métaphysique et une unité vivante, dont l’idéal est la plus parfaite harmonie de toutes les manifestations de l’être physique et de l’être moral ; la première est à la base, la seconde se poursuit jusqu’au sommet de l’être. Or, quand nous parlons de l’âme spirituelle et immortelle, c’est le sommet que nous considérons, c’est ce qui élève la personne humaine au-dessus des autres êtres. Le vrai spiritualisme n’est donc pas dans la conception abstraite et banale d’une substance absolument simple ; il est dans la foi à l’idéal, au devoir, à la responsabilité morale et à toutes les conditions dont l’homme ne peut se passer pour le développement de sa nature propre et l’accomplissement de sa destinée.

La nature propre de l’homme, dans la plus haute idée que s’en fait la conscience, est celle d’une personne raisonnable et libre, responsable de ses actes. Analysons cette idée de responsabilité, qui embrasse et résume tous les élémens de la personnalité : nous y trouvons un caractère qui nous est inhérent, que nous portons toujours avec nous; mais nous y trouvons aussi quelque chose qui n’est pas nous, l’idée d’une puissance supérieure à qui nous devons compte de l’exécution de ses lois, ou, en d’autres termes, l’idée d’une législation et d’une justice souveraines. Sans doute, cette législation et cette justice ont leur expression dans notre conscience. C’est devant notre conscience que nous nous sentons avant tout responsables ; nous ne nous sentons obligés envers une autorité extérieure qu’autant que cette obligation s’accorde avec celles que notre conscience nous impose; nous n’acceptons le jugement d’autrui sur nos actions qu’autant qu’il est confirmé par le jugement de notre conscience ; c’est enfin dans notre conscience que notre responsabilité trouve sa première sanction, et sans cette sanction intérieure les récompenses ou les peines qui peuvent nous venir du dehors ne sont que des accidens heureux ou malheureux, sans valeur morale. Nous admettrons donc, avec M. Bouillier, que « l’homme est le contenu de la loi ou du bien qu’il doit accomplir ; que non-seulement il a sa loi en lui, mais qu’il est sa loi à lui-même. » L’homme est son législateur et son juge; mais ce double caractère appartient-il à la nature humaine, telle qu’elle est, dans sa totalité, dans sa complexité réelle? Non ; suivant M. Bouillier, comme suivant M. Janet et tous les idéalistes, il y a dans l’homme une nature supérieure qui commande à la nature inférieure et qui la juge, et cette nature supérieure, qu’est-ce autre chose que l’homme idéal, l’homme s’élevant, par la pensée et par le cœur, au-dessus de lui-même, au-dessus de l’humanité réelle, l’homme incarnant dans sa conscience