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critiques le nomment Jean de Bologne. Si bien que le nom paraissant italien, les œuvres se trouvant en Italie et le style du sculpteur ayant le caractère italien, on prendrait volontiers le maître de Douai pour un Italien. Son vrai nom est Jean Boulongne ou Jean Boulogne. En écrivant sur Jean Boulogne, M. Abel Desjardins avait donc à traiter un sujet à peu près neuf. Il a raconté la vie du sculpteur comme un historien qui connaît bien l’Italie du XVIe siècle, et il a parlé de ses statues comme un homme qui aime l’art et le saurait apprécier à l’occasion, mais qui se défie en esthétique de ses idées personnelles et juge trop souvent d’après les autres. C’est que si M. Abel Desjardins a sa réputation établie comme historien, la critique d’art est nouvelle pour lui. Le catalogue de l’œuvre de Jean Boulogne n’avait point l’utilité de celui de l’œuvre de Benvenuto Cellini. L’œuvre de Jean Boulogne n’est point disséminé et peu de pièces s’en sont perdues ; il suffit d’aller à Florence, à Pise et à Bologne pour le retrouver presque dans son entier. Quoi qu’il en soit, une monographie de Jean Boulogne manquait à l’histoire de la sculpture. M. Abel Desjardins a été bien inspiré de faire un livre des nombreux documens amassés si patiemment par M. Foucques de Vagnonville, qui était de Douai et ainsi concitoyen rétrospectif de Jean Boulogne. — Que si maintenant, surpris de ces énormes livres consacrés à des maîtres de second ordre, on se demandait, non sans quelque anxiété, où s’arrêtera la bibliothèque de l’histoire de l’art, il faudrait répondre que cette bibliothèque, en effet, promet ou menace d’être considérable. Il y a moins à s’en plaindre qu’à s’en féliciter. L’avenir fera son choix. La postérité, qui sait classer les maîtres, saura bien aussi classer les livres.


I.

Grâce aux documens de toute sorte retrouvés dans les archives d’état et de paroisse de l’Italie, de la France, de l’Espagne, on peut contrôler chaque livre, chaque page des Mémoires de Cellini. L’orfèvre dit, par exemple, qu’à son premier séjour à Rome, un certain Gian Giacomo l’enrôla comme cornet dans la musique du saint-père ; or le compte de la trésorerie du pape porte les sommes payées à ce Giacomo pour l’année 1523. L’évêque de Salamanque, contre les gens duquel Cellini soutint un véritable siège en pleine rue de Rome, est cité dans l’inventaire des trésors de Notre-Dame-del-Pilar à Saragosse. Benvenuto conte ses prouesses comme canonnier pendant la défense du château Saint-Ange ; on trouve dans un registre de mandats le nom du bombardier Benvenuto et ceux de plusieurs autres capitaines et soldats cités par les Mémoires.