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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/429

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espagnole ou de l’euphuïsme italien. Le lecteur curieux de pousser la vérification jusqu’au bout s’apercevra sans peine qu’encore ici comme plus haut la généralisation enveloppe à la fois les classiques de la peinture et ceux de la littérature. Car, comme il y a des classiques de la peinture italienne, il y en a aussi de la peinture flamande et hollandaise, et qui sont ce qu’ils sont exactement pour les mêmes raisons, ou, si l’on aime mieux, sous les mêmes conditions. Ils ont peint dans le temps précis de la perfection des moyens techniques de leur art, et, de plus, leur peinture a exprimé, avec des formes et des couleurs, ce qu’elle pouvait exprimer du caractère national.

Ce n’est pas tout, et il manque une dernière condition. Ceux-là seuls en effet sont classiques, au sens entier du mot, qui peuvent joindre au bonheur que nous venons de dire le bonheur encore d’avoir vécu dans le temps de la perfection de leur genre. Car les genres, eux aussi, n’ont qu’un temps. Eux aussi, comme les langues, ils vivent, et quand ils ont fini de vivre, comme les langues, ils meurent. Shakespeare, en Angleterre, et ses contemporains ou successeurs immédiats ayant pour ainsi dire épuisé ce que le drame, une fois nettement défini, contenait de vitalité, c’est en vain que Dryden au XVIIe siècle, et Addison, au commencement du XVIIIe, ont essayé de le renouveler en le transformant sur le modèle de la tragédie française. Inversement, en France, c’est inutilement que Voltaire s’est flatté, dans cette incessante recherche du nouveau dont son théâtre a ce mérite au moins d’être la preuve très curieuse, de rajeunir la tragédie du XVIIe siècle; Corneille et Racine avaient épuisé ce que cette forme dramatique contenait de puissance. Au contraire, de l’un et de l’autre côté du détroit, dans la patrie de Le Sage comme dans celle de Richardson, le roman, avant de rencontrer son vrai terrain, s’était lourdement traîné d’aventure en aventure, et n’avait qu’à peine donné quelques promesses, — dans la Princesse de Clèves ou dans le Roman cornique, — de ce qu’il pouvait, de ce qu’il devait être un jour. C’est pourquoi, dans l’histoire de notre littérature comme dans celle de la littérature anglaise, les classiques du roman appartiennent au XVIIIe siècle. La raison, s’il en faut une, car, après tout, on pourrait se contenter ici d’avoir noté les faits, c’est que tout genre a ses lois, et qui dépendent bien moins qu’on ne le croit des changemens de la mode ou de je ne sais quelles prétendues révolutions du goût. Les plus belles théories sur la liberté dans l’art et l’indistinction des genres ne feront jamais que l’on aille chercher au théâtre la même émotion que l’on demande à la lecture d’un livre. Ce serait comme si l’on disait que l’on prend le même plaisir, et de la même espèce, aux œuvres de la peinture et de la sculpture. Mais, évidemment, si ce n’est pas le même plaisir (et tout le monde en convient), les moyens de le satisfaire ne sauraient