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donc être les mêmes, et, de ce seul point une fois posé, dérivent les lois, règles, conventions ou conditions (le nom ne fait rien à l’affaire), qui déterminent la perfection de chaque genre. Aussi, cette perfection atteinte, n’est-il plus possible de la dépasser. J’ai l’air de dire une naïveté. Traduisons donc l’aphorisme dans l’ordre des faits. Si quelqu’un, comme Bossuet, par exemple, a une fois atteint la perfection de l’oraison funèbre, il ne sera donné, dans la langue française, ni à Bourdaloue, ni à Fénelon, ni à Massillon, et bien que classiques eux-mêmes, de dépasser ou d’égaler Bossuet. Ils pourront faire autrement, selon le mot de l’un d’eux, mais quoi qu’ils fassent, ils feront indubitablement moins bien.


IV.

Lorsque ces trois conditions concourent, ou, comme on dit, convergent ensemble, c’est alors qu’apparaissent les œuvres classiques, les seules à qui, dans l’histoire de la littérature comme dans l’histoire de l’art, convienne exactement ce nom. Qu’il y en ait d’autres, après cela, sur lesquelles on épuise à bon droit les formules de l’admiration, peu importe; elles ne sont pas classiques dès que l’une quelconque de ces trois conditions fait défaut. On a longtemps compté, parmi les classiques de notre poésie lyrique, ce fameux Jean-Baptiste Rousseau; mais, depuis lors, nous nous sommes aperçus que de tant d’odes et de cantates jadis vantées, il n’y en avait pas une qui fût vraiment lyrique, c’est-à-dire où vibrât l’émotion personnelle du poète ; la poésie lyrique, en France, était encore trop éloignée de la perfection de son genre : Jean-Baptiste Rousseau n’est pas un classique. Mais, de notre temps, d’autre part, si haut que se soient élevés les Lamartine, les Musset, les Hugo, eux non plus ne sont pas ni ne seront jamais classiques ; trop éloignés de l’époque de la perfection de la langue, les littératures étrangères ont trop profondément déteint sur eux. Certaines chansons de Béranger, moins littéraire à tous égards et d’ailleurs à peine poète, mais Gaulois, sont plus voisines de la forme classique.

On pense bien que je choisis tout exprès ce dernier exemple. C’est qu’il en est peu qui prouvent plus clairement, combien la vraie notion d’un classique peut être indifférente et, en quelque sorte, extérieure à tout jugement que l’on porterait sur la valeur individuelle de l’homme. On s’est habitué de notre temps (et beaucoup de bons esprits ne sont pas éloignés d’y voir le dernier mot de la critique) à confondre les œuvres avec les hommes ; comme s’il manquait de chefs-d’œuvre dans l’histoire de la littérature ou de l’art, dont l’auteur fût, en trois lettres, ce qui s’appelle un sot, ou