on avait l’œil sur lui comme sur un homme qui pouvait déchaîner les orages, et par cela même sa mort, coïncidant de si près avec celle du général Chanzy, a pu ressembler à un allégement de la situation, à une sorte de gage nouveau de paix.
Peut-être, à vrai dire, s’est-on exagéré la portée extérieure de l’événement douloureux du 31 décembre, et l’imagination a-t-elle joué un rôle dans tous ces commentaires. Sans doute, par l’ardeur de son tempérament, par les premiers souvenirs de sa carrière, par ses constantes préoccupations militaires comme par ses instincts de patriotisme qu’il ne déguisait pas, M. Gambetta a pu faire croire assez souvent qu’il représentait une politique guerrière. Quelque importance qu’il eût cependant, il est certain qu’il n’avait pas le pouvoir d’engager le pays dans des entreprises hasardeuses ou prématurées; il n’avait pas eu même assez d’autorité, il y a un an, pour décider une coopération avec l’Angleterre dans ces affaires d’Egypte, qui, après lui, ont si étrangement tourné et qui, encore à l’heure qu’il est, après l’expédition anglaise, sont l’objet d’un incessant débat diplomatique entre les cabinets de Londres et de Paris. A plus forte raison eût-il été impuissant à décider une campagne sur le continent, et, de plus, il n’en avait sûrement pas la volonté pour le moment. Non, en vérité, la France n’a pas changé par la mort de M. Gambetta; elle n’est pas devenue plus pacifique, par la raison bien simple qu’elle n’avait pas à le devenir. Depuis longtemps, elle a laissé voir avec assez de clarté, on pourrait presque dire avec assez de naïveté, qu’elle ne voulait pas courir les aventures et qu’elle ne suivrait même pas ceux qui voudraient l’y entraîner. Ce qui est vrai, c’est qu’aujourd’hui comme hier, après comme avant la mort de M. Gambetta, la France reste ce qu’elle était, attachée à la paix, cherchant de bons rapports avec tout le monde, fort peu désireuse de toutes ces combinaisons, de ces alliances dont on lui attribue assez souvent la pensée. Rien, à ce qu’il semble, n’est modifié en Europe, et il faudrait sûrement d’autres circonstances pour déterminer la France à reprendre un rôle d’action devant lequel elle ne reculerait pas sans doute, s’il le fallait, mais qu’elle ne cherche pas impatiemment.
Ce n’est point à tout prendre que l’Europe elle-même, toujours si prompte à se préoccuper et même quelquefois à s’émouvoir de ce qui se passe en France, soit, pour sa part, dans une situation si simple et si facile à ce début d’une année nouvelle. S’il n’y a pas absolument des « points noirs, » de ces points noirs dont on parlait autrefois et qui cachaient de si grosses tempêtes, il y a du moins des nuages gris qui passent sur tout le monde. Il est certain que l’Europe est dans un état assez apparent d’embarras, d’attente fatiguée, qu’il y a pour les plus grandes puissances des éventualités qu’on peut prévoir et qui peuvent