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d’Autriche comme roi de Hongrie, les étendards de ces peuples, — et ceux de la Bosnie et de l’Herzégovine qui appartenaient alors aux Turcs, — figuraient à côté de ceux des provinces qui leur sont effectivement soumises. Ce sont, en effet, pour les Magyars, des sujets in partibus infidelium.

Et il ne faudrait pas croire que ces idées appartiennent seulement aux classes dirigeantes de la Hongrie. Écoutez un paysan magyar : « Il vous dira que le peuple magyar est le plus grand des peuples, que sa langue est la plus harmonieuse des langues ; que ses magnats sont plus nobles que le roi et que quelques-uns d’entre eux descendent directement de Noé par Attila ; que saint Etienne, patron de la Hongrie, est le plus grand saint du paradis ; enfin que Dieu a donné la révélation en langue magyare et qu’il porte habituellement le costume national de son peuple de prédilection[1]. » Avec un pareil orgueil, soutenu par de réelles qualités, un peuple peut parfois succomber, mais il accomplit toujours de grandes choses.

Les Allemands ont parfaitement compris que, sans les Magyars, la monarchie des Hapsbourg, n’ayant plus à se ménager les moyens d’une politique de bascule, deviendrait slave du jour au lendemain ; aussi entre-t-il dans leurs vues de flatter l’amour-propre hongrois et de favoriser ses revendications ; ils ont donc été heureux d’aider politiquement l’Austro-Hongrie à obtenir cette profondeur sur l’Adriatique[2] qui était depuis si longtemps le rêve des militaires et des politiques à courte vue de la cour de Vienne. Drang nach Osten ! En avant vers l’Orient ! dit l’Allemand, et toute la politique actuelle du chancelier de fer tend vers ce but : le Danube doit être un fleuve allemand, et pour le devenir, il doit d’abord être un fleuve autrichien. Les Roumains, qui possèdent l’embouchure de cette grande voie fluviale, ont déjà pour roi un Hohenzollern ; c’est une pierre d’attente qui a sa valeur, bien que Charles Ier semble avoir adopté cordialement le peuple qui l’a choisi. Mais le grand jeu se joue à Vienne et à Pesth, et c’est l’Autriche-Hongrie que l’Allemagne pousse sur la route du Bosphore. Les deux étapes de cette route sont faciles à déterminer.

1re étape. — L’Austro-Hongrie, démesurément étendue vers l’orient, devient réellement l’empire de l’Est,.. à la condition, cela

  1. H. Desprez, les Peuples de l’Autriche. Paris, 1850, I, p. 55.
  2. Venise, qui au plus beau temps de son histoire, savait certainement coloniser, n’avait jamais sérieusement recherché cette « profondeur sur l’Adriatique ; » elle préférait n’avoir à garder que le littoral par lequel elle était toujours maîtresse de l’intérieur du pays.