Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/565

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des dynasties nationales et demandait la formation d’une confédération des états slaves des Balkans, y compris la Bosnie et l’Herzégovine, avec le prince de Montenegro comme chef militaire. D’un autre côté, l’alliance étroite de la Serbie et de l’empire austro-hongrois n’est-elle pas, pour le moment du moins, un fait accompli, et un membre de la délégation autrichienne n’a-t-il pas pu dire publiquement, le 17 novembre dernier, qu’il ne voterait les sommes demandées pour l’occupation de la Bosnie et de l’Herzégovine « que dans l’espoir que la Bosnie sera cédée un jour à la Serbie et liée à l’Autriche-Hongrie par une convention militaire, de même que par des conventions se rapportant au commerce, aux chemins de fer, aux postes et aux télégraphes. »

Complétons la pensée du député austro-hongrois et faisons avec le Montenegro, augmenté de l’Herzégovine, une opération analogue, nous aurons un commencement de réalisation de ce fédéralisme slave, à qui l’avenir appartient. Chimère ! dira-t-on ; soit. La chimère d’aujourd’hui est la vérité de demain, surtout quand elle répond à des nécessités inéluctables. Qu’on ne dise donc pas que tout cela est impossible ; ce serait avouer que l’existence de l’Austro-Hongrie elle-même est impossible.

Il y a en histoire des lois supérieures aux coups de main brutaux de la force aussi bien qu’aux savantes combinaisons de la politique. Sous quelles formes, après quelles secousses se fera la transformation de l’Europe orientale dans le sens que nous indiquons, l’avenir seul pourrait répondre ; mais ce qui paraît évident pour tout homme qui étudie sans parti-pris la situation respective des grandes puissances et l’état d’émiettement où se trouvent les races de la péninsule balkanique, c’est que l’Austro-Hongrie doit pencher à l’est, vers Salonique et vers Constantinople, et devenir la tête d’un grand empire fédératif réunissant des royaumes slaves, grecs, hongrois, roumains ; ou bien qu’elle doit disparaître, laissant la vallée du Danube livrée, sinon à l’anarchie politique, du moins aux influences contradictoires de toutes les ambitions rivales et léguant au hasard, après des luttes sanglantes, le choix entre l’écrasement de la grande Allemagne par le reste de l’Europe coalisée ou la germanisation complète et définitive de tous les pays qui s’étendent du Rhin et des Alpes aux collines de la Vistule et aux rives du Dnieper.


Vte DE CAIX DE SAINT-AYMOUR.