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LA
REPUBLIQUE EN 1883

La justice, qui, dans la vie des peuples, transforme les vertus en succès et les fautes en revers, avait été nommée par les anciens la lente déesse. Ses lenteurs ne troublaient pas leur conscience, capable de reconnaître au loin dans les effets les causes ; et le temps, à travers le désordre des actes et l’étendue des âges, leur offrait l’unité d’une grande leçon. Autre semble la sagesse moderne. Elle se borne à discerner les suites immédiates, n’a le loisir ni de regarder au-delà ni d’attendre, et la logique des expiations et des récompenses, si elle était lointaine, demeurerait invisible. Mais comme il ne faut pas qu’elle cesse d’éclairer les nations, elle s’est mise d’elle-même à portée de leur infirmité. A mesure que les yeux devenaient moins capables de la découvrir, elle s’est rapprochée des événemens ; aujourd’hui que le court regard des peuples ne voit pas au-delà de l’heure présente, il peut presque toujours contempler ensemble les faits et leurs conséquences. La justice n’est plus cette tardive déesse qui suivait d’un pas boiteux le vol fugitif des passions humaines : elle plane sur le monde et elle fond sur l’histoire au moment où l’histoire s’accomplit.

Deux fois, depuis douze années, elle est descendue sur la France, pour apporter tour à tour à un parti sa récompense et sa punition.


I

Quand, en 1871, après la défaite, la révolution et la guerre civile, la France chercha un gouvernement, il s’en présentait deux :