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la monarchie et la république. M. Thiers, placé entre les partis comme un arbitre, ne donna le pouvoir à personne, mais un conseil à tous : « L’avenir, dit-il, est aux plus sages. » Il semblait promis à la royauté. La république existait, mais de fait : née d’une émeute, elle avait, sans consulter le pays, pris la responsabilité de grands désastres. La monarchie, pure de toute faute dans ces malheurs, n’avait reparu avec ses partisans que sur les champs de bataille, pour soutenir notre mauvaise fortune. Le pays n’avait-il pas choisi entre l’une et l’autre en nommant l’assemblée nationale ? Presque entière elle se composait de royalistes. Ils devaient à leurs origines un grand respect des forces morales qui tiennent groupées les sociétés ; ils devaient à leur longue opposition sous l’empire l’intelligence et le goût de la liberté qui forme les individus. Leurs chefs ajoutaient à ces dons l’éclat de la célébrité ou de la gloire, et la France reconnaissait en eux toutes les grandes voix du siècle que la mort n’avait pas éteintes. Mais c’est parce qu’ils représentaient les divers âges du passé qu’ils ne représentaient pas leur temps. Ces amis de toutes les monarchies se faisaient obstacle. Également incapables d’accomplir leurs projets ou d’y renoncer, l’illusion de leur nombre ne servit qu’à leur rendre plus douloureuse l’impuissance, et comme il y a quelque chose de malsain dans tout ce qui est faux, à une mauvaise tâche leurs vertus naturelles se gâtèrent. Leur ardeur éclatant en violences, en querelles, en injustices, éloigna d’eux l’opinion, car elle se donne à qui se possède. Au lieu de s’efforcer à la retenir, ils l’accusèrent. Pour la punir, ils en vinrent à détruire les sages libertés qu’ils avaient accordées, imposées même à M. Thiers dans les premiers jours ; pour la réformer, ils voulurent gagner les forces qui agissent sur elle, et d’abord la plus efficace, l’église. Des faveurs inutiles, une protection indiscrète, l’élan d’un zèle qui ne paraissait pas pur de calcul, semblèrent annoncer un retour de la prépondérance politique du clergé, et réveillèrent la haine toujours mal assoupie de l’ancien régime. La magistrature, l’armée, les corps enseignans n’échappèrent pas toujours au danger d’une alliance qui voulait faire fléchir leur impartialité au bénéfice d’un parti, Pour les fonctionnaires, ils eurent à servir un régime qui se nommait lui-même un gouvernement de combat. La crainte, à en croire Machiavel, est le plus sûr instrument de règne. Mais toute main n’est pas habile à le manier. Il n’y a de terribles que la colère du génie ou de la perversité, parce qu’on n’en peut mesurer les profondeurs. L’assemblée nationale était trop connue. Ce qu’on savait de ses scrupules empocha qu’on crût à ses menaces ; ses menaces ruinèrent le respect qu’avaient d’abord inspiré ses doctrines ; et elle