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leurs adhérens et leurs ressources que par l’affaiblissement de l’église ; l’une et l’autre, toujours menacées par le bras ecclésiastique, voulaient enfin faire sentir à l’antique ennemie la force du bras séculier. L’on reconnut bien alors que la franc-maçonnerie est un ordre religieux en révolte, quand se déroula cette vengeance où apparaît à la fois la cruauté des luttes confessionnelles, le calme implacable des haines sacerdotales, et la corruption de l’esprit monastique tournée en science de persécuter.

Tous ceux qui avaient adhéré à l’union des républicains ne prévoyaient pas cette politique. Mais quand les modérés le reconnurent, ils s’y étaient associés déjà. Gambetta les entraînait, il fallait obéir. Les influences électorales, que leur silence avait rendues omnipotentes, ne leur auraient pas pardonné l’indépendance, il fallait vivre. La voix des partis extrêmes leur sembla la voix même de la France, ils eurent honte de leur sagesse, et l’on put voir complices de toutes les fautes des hommes dont la conscience et le nom même protestaient contre leur lâcheté. Seuls, les représentans des opinions démagogiques furent complices sans être dupes. Eux seuls ne couraient pas risque d’être conduits trop loin. Eux seuls n’avaient pas besoin de la parole, elle était leur péril : eux seuls pouvaient diriger sans bruit une opinion faite par leurs comités et leurs associations. Gambetta lui-même, souverain apparent, était réduit à servir cette puissance, puisqu’il avait besoin de rester populaire ; il lui fallait à son tour se soumettre ou se démettre.

Telles furent les conséquences premières d’une grande erreur : le régime parlementaire devenu un régime de silence, un gouvernement d’assemblée changé en gouvernement d’un homme, et cette dictature consentie par tous au profit d’une minorité.

Mais la facilité que les inspirateurs de cette politique trouvaient à accomplir le mal ne leur donna pas l’illusion que le pays la voulût. C’est pour eux-mêmes qu’ils poursuivaient les persécutions comme les représailles, et ils rendirent témoignage à la France en cherchant à retenir par d’autres bienfaits un peuple que l’injustice ne suffit pas à gagner.

Le peuple, comme l’homme, est esprit et matière, et, comme il vit d’idées, il vit d’intérêts. Moins un gouvernement représente les unes, plus il doit servir les autres. C’est par des avantages matériels qu’on résolut de conquérir la France. Si un gouvernement démocratique a le devoir de développer la richesse et de rendre meilleures les conditions de l’existence, ce n’est pas un devoir facile. Trop de sujets mériteraient la sollicitude, et servir les intérêts du peuple, c’est choisir entre eux. Mais choisir, c’eût été créer des mécontens : l’on voulait satisfaire tout le monde. Or combien dans une nation savent ce qui est avantageux à tous,