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pays ? d’en juger la situation dans le monde ? d’avoir une politique extérieure ou intérieure ?

Et si les députés dirigent l’administration, quel rôle reste aux ministres ? Celui-là même que les députés n’ont pas le temps d’exercer : la conduite des affaires générales au dedans et surtout au dehors. Les ministres peuvent, à peu près sans obstacle, imposer le régime commercial qu’ils préfèrent, tenter un système d’alliances, exercer jusqu’au droit de paix et de guerre, engager l’épée de la France en Grèce, en Tunisie, au Tonkin. Ce sont eux qui gouvernent, sans que le parlement, trop occupé, leur fasse un obstacle ni peut-être une question. Mais qu’ils ne pensent pas être maîtres dans leur propre ministère, s’assurer le concours d’un collaborateur indispensable, dont le nom sonne mal aux oreilles des députés, supprimer les fonctionnaires inutiles ou peu sûrs, mais forts de quelque appui politique, récompenser leurs subordonnés en tenant compte de leur mérite, leur donner pour instructions de servir uniquement le bien de l’état. Deux ministres l’ont tenté dans ces dernières années. Quand M. Barthélémy Saint-Hilaire vit l’influence parlementaire étendue jusqu’aux nominations diplomatiques, sa grave honnêteté s’étonna dans un noble langage, et, comme il l’avait dit, il sut faire respecter son indépendance. Mais les fonctions qu’il défendit contre l’intrigue sont, par leur petit nombre, comme par les aptitudes qu’il y faut montrer, les moins exposées. Un autre ministre voulut peu après suivre cet exemple, et, en prenant possession du pouvoir, M. Waldeck-Rousseau essaya de ressaisir une autorité que le parlement tout entier exerçait sur ses services. Mais ces services étaient ceux de l’intérieur, ceux qui ont sur la politique électorale l’action la plus directe. Loin que les sages idées du ministre convainquissent la chambre, elles furent une des causes de la rupture entre la majorité et M. Gambetta. Sauf ces. deux exemples, tous les ministres ont accepté sans lutte la situation. Et seuls ceux qui ne luttaient pas avaient raison. Un cabinet qui prétendrait enlever aux députés la disposition des places et la distribution des grâces leur enlèverait leur force électorale. Leur fortune, qui flotte sur ces faveurs, échouerait si le fleuve cessait de couler. A tolérer qu’un cabinet leur résiste, ils se perdraient eux-mêmes, et ils seraient contraints à décréter sa mort pour vivre. Grâce à ces mœurs nouvelles, la grande vertu de la politique est la docilité. Le suffrage universel est le maître ; les députés ont pour fonction d’entendre ce qu’il veut et de l’exécuter sans retard ; ils confient pour cela les grandes charges de l’état à des. hommes capables de les aider, et, dans cette hiérarchie de la soumission, les ministres sont placés au sommet pour obéir à tout le monde.

Quand le mandat politique, avili dès l’origine, s’achète par un