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gouvernent, et, sous prétexte d’établir entre elles un juste équilibre, ils inclinent eux-mêmes, selon la pente de leur instinct, les uns vers la liberté, les autres vers l’autorité. Cette division des esprits, que la nature a créée, que la pratique universelle des pays civilisés reconnaît, que partout exprime le nom même des partis, et qui avait disparu de France par la seule vertu d’un mot d’ordre, tente de renaître. C’est dans les heures de crise que le bon sens se libère des sophismes ; mais si le mal accompli témoigne que la confusion n’est pas la concorde, le remède est-il de choisir entre ces deux méthodes de gouvernement ? Existe-t-il, dans la masse innomée des républicains, les élémens d’un parti autoritaire et d’un parti libéral ?

Il y a, en effet, à cette heure, un groupe de politiques voués, disent-ils, à la défense de l’individu contre l’oppression de l’état. C’est lui qui, par des lois récentes, a étendu sans limites la liberté de la presse et celle de réunion ; c’est lui qui, devançant la loi, pratique sur toute la surface du territoire la liberté d’association ; c’est lui qui s’indigne quand on applique la loi, même contre l’internationale. Son respect pour les minorités lui rend inviolables jusqu’aux emblèmes séditieux, son respect pour l’indépendance de l’esprit le désarme même devant des productions immorales. Nul ne veille avec plus de jalousie sur tous les droits conquis depuis 1789, contre le pouvoir, et surtout sur ceux qui sauvegardent la liberté individuelle. Ce n’est pas seulement le citoyen qui lui semble sacré, c’est l’homme, et l’inflexibilité de ses principes protège les étrangers comme les nationaux. Si les plus obscurs ou les plus dangereux parmi les vagabonds de l’anarchie, cherchant en France un refuge, pour la troubler ou au risque de la compromettre, sont saisis et expulsés par la police, il n’a pas assez d’indignation contre cet attentat à l’hospitalité ; et si la justice de leur pays les réclame en vertu des traités et de leurs attentats, il romprait avec toutes les puissances avant de livrer les réfugiés, dans les crimes desquels il ne voit que des manifestations d’opinion politique.

L’exagération de telles doctrines paraît un garant de leur sincérité. Mais voici qu’un jour, au nombre de plus de dix mille, des hommes réclament le libre exercice de leurs droits sur le sol de la France, et le parti de la liberté intraitable exige qu’on leur enlève la liberté d’enseigner, de vivre en commun, celle d’habiter leur domicile, celle de se vêtir à leur gré. On jette hors de la frontière ceux qui sont étrangers : les champions de l’hospitalité approuvent et réclament le même sort pour les Français. La force obéit, assiège les demeures closes et disperse leurs habitans. Répétant après l’apôtre Paul : Civis sum, les victimes réclament au moins, dans les rigueurs, un traitement conforme à leur condition ; si elles doivent périr, ce n’est pas sous