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ambitions semblent la fièvre et les hasards d’un jeu, quand l’intrigue, les délations, les calomnies, tous les vices bas, — qui naguère n’étaient pas français, — conduisent aux plus hautes charges, comment ne seraient pas ébranlées jusque dans les citoyens les plus humbles l’indépendance, la sincérité, la modération, tout ce qui fait la grandeur morale d’un peuple ? Si la générosité et la douceur des mœurs, le respect pour les faibles, la pitié pour les vaincus, l’amour du droit désarmé, ont fait place au culte de la force, à une rudesse toute nouvelle, à des instincts inconnus de violence, qui a poussé les premiers cris de haine, commis les premiers attentats contre les personnes et contre le droit, si ce n’est le gouvernement ? Si la menace gronde aujourd’hui contre lui-même et monte plus haut, si la démagogie sape avec des forces croissantes ce qui reste d’ordre dans la société, de raison dans les esprits et de vertu dans les âmes, cette guerre n’est-elle pas née de la guerre contre les croyances et prétend-on n’avoir pas affaibli la morale parce qu’on en a seulement coupé les racines ? Et si les prolétaires, désormais certains, grâce aux politiques, qu’il n’y a rien au-delà de ce monde, veulent en ce monde leur part, si, ne la trouvant pas, ils le condamnent, si, n’ayant pas le temps d’attendre, ils en appellent à la force, ils n’effraient leurs maîtres que pour en avoir trop compris les leçons. Maîtres insensés de n’avoir pas compris eux-mêmes que jamais l’homme ne saurait renoncer à être heureux, et que l’immense bienfait des religions, de toutes les religions, c’est de lui donner la patience ! La corruption du pays, voilà le fruit dernier et le plus funeste d’un mauvais régime, car il corrompt jusqu’aux sources d’un meilleur avenir.

Telle est la fécondité de l’erreur. Tous ces résultats s’enchaînent, tous se rattachent à une cause : l’union des républicains. Cette politique a fait le mal ; comment, si elle dure, le guérirait-elle ? Non, c’est assez, c’est trop ! Si l’on veut détruire les conséquences, c’est la cause qu’il faut détruire. De tous les faits sort la même leçon. Il est temps que la sagesse n’obéisse plus, mais commande, que la raison ne se taise plus, mais se révolte, il est temps que se rompe la fausse alliance où toutes les vertus de la France demeurent captives. Si l’union des républicains a fait la république, la division des républicains peut seule la sauver.


III

La société politique se compose d’individus et forme un être collectif. Également nécessaires, les prérogatives des citoyens et celles de l’état ne peuvent s’étendre qu’aux dépens les unes des autres ; concilier leur conflit est la grande difficulté de ceux qui