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malgré la division des esprits, l’union des partis s’est faite : au sénat, la rupture malgré l’union des esprits. Dans l’une et l’autre enceinte, la discipline seule a assemblé ou désuni et donné à la chambre une force et au sénat une impuissance également factices. Que dans l’une et l’autre le joug disparaisse, la chambre devient une mêlée, et une majorité d’hommes sages apparaît au sénat. Or le jour où le sénat voterait comme il pense, la bonne politique n’aurait pas seulement acquis une des deux chambres, elle s’imposerait à l’autre.

V

Les droits du sénat sont aisés à définir : ils sont identiques aux droits de la chambre. La souveraineté est partagée entre les deux assemblées, de telle sorte que leur concours est nécessaire et que le désaccord de l’une annule l’autre. Deux différences seules dérogent à cette égalité parfaite. La chambre vote d’abord les lois de finances, le sénat peut dissoudre la chambre. De ces prérogatives, la première, de pure forme, est un souvenir du temps où le « tiers tenait les cordons de la bourse, » et une garantie que le sénat, en l’absence des chambres, ne consentira pas des levées provisoires d’impôt, comme il le put sous l’empire. La seconde est une disposition fondamentale qui, au cas de conflit entre les assemblées, donne à l’une d’elles le droit de supprimer l’autre et d’en appeler, quand elle le veut, au pays. Si l’équilibre est rompu, c’est au profit du sénat.

N’eût-il que son droit de veto, ce droit suffisait à endiguer le désordre. Les fautes qui pèsent sur le présent ne sont rien en face de celles qui menacent l’avenir. Pour que demain la constitution retienne le respect, pour que la magistrature juge sans crainte sur son siège affermi, pour que la sécurité des consciences renaisse, pour que le gaspillage des dépenses cesse, il suffit qu’aux espérances hautaines de la démagogie s’oppose le Non possmnus de la raison. Et s’il retentissait au sénat,. non plus comme la dernière résistance d’une volonté expirante, mais comme le mot d’ordre d’une fermeté nouvelle, le résultat serait plus grand que d’écarter telle ou telle expérience funeste ; il rendrait à la fois à tout ce qui reste encore debout la force avec la sécurité.

Pour prouver que ce respect des institutions nécessaires n’a rien de la routine obstinée où se complaisent parfois les chambres hautes, le sénat a son droit d’initiative. Tandis qu’une des libertés fondamentales dans une démocratie, la liberté d’association, n’a inspiré à la chambre qu’un coup de force contre les religieux et une tentative de privilège en faveur des ouvriers, en ce moment le sénat discute