Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/597

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un projet qui proclame et règle d’une façon égale ce droit pour tous les citoyens. C’est un noble testament qu’a écrit M. Dufaure, et peut-être le plus grand exemple que laisse sa vie. Si, comme lui, chacun de ceux qui au sénat ont une idée utile s’en croyaient débiteurs envers la France, quelle richesse de réformes ! Si le sénat, au lieu d’attendre de la chambre des députés la matière de ses discussions, ne donnait aux propositions émanées d’elle que le temps nécessaire pour en constater l’inanité ou le péril, et consacrait ses séances à puiser dans son propre fonds et à transformer sur les sujets les plus importans sa pensée collective en articles de lois, c’est lui qui réglerait les travaux même de la chambre, et la contraindrait soit à suivre docilement une direction étrangère, soit à affirmer son indépendance en rejetant des mesures utiles au pays.

Les lois ne sont pas tout dans l’état. Ce ne sont pas elles qui peuvent édicter l’intelligent emploi des ressources, la sage direction des services, la compréhension et la défense des intérêts nationaux au dedans et au dehors. Tout cela est affaire de gouvernement, c’est-à-dire d’hommes, et le pouvoir appartient non à qui fait les lois, mais à qui les applique. Or il semble aujourd’hui entendu que les ministres relèvent de la chambre seule. La docilité avec laquelle le sénat s’est désintéressé de leur avènement et de leur chute a servi de titre à ceux qui niaient son droit. Sa part dans les cabinets, d’abord égale, a été progressivement diminuée jusqu’à disparaître. C’est par le gouvernement que la chambre tentera d’échapper au sénat, et il lui importera peu d’être arrêtée dans la rédaction des textes si des exécuteurs de ses volontés, soutenus par elle, suppléent aux lois qu’elle n’a pu faire, et violent les lois qu’elle n’a pu détruire. Mais si une seule des chambres gouverne, que devient entre elles l’égalité qui est la règle de leur existence, et le condominium qui est tout notre système politique ? Comme les lois ne peuvent naître, les gouvernemens ne peuvent vivre sans l’accord des deux assemblées, et il ne suffit pas plus à un ministère d’avoir l’approbation de la chambre qu’il ne lui suffirait d’avoir celle du sénat. C’est ce principe que, sous peine de violer la constitution, il importe de restaurer. C’est cette usurpation du pouvoir qu’il importe d’arracher à la chambre pour tarir la grande source des corruptions présentes. Sans doute revendiquer n’est pas obtenir, et le sénat trouvera d’abord, pour nier l’évidence de son droit, la coalition des intérêts qu’il menace. Mais ce n’est pas enlever peu de chose à ceux qui possèdent que prouver l’illégitimité de leur possession. Les ministres, la chambre elle-même, sentiront plus qu’ils ne le pensent l’utilité de ne pas pousser à bout une assemblée qui ne paraîtra plus ignorante de sa prérogative. A mesure que le sénat aura rendu plus de services et mieux montré, sa supériorité dans