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que je lus me prouva à l’évidence que j’avais deviné juste. Le sonnet reste plus ou moins ce qu’il était, mais l’ensemble du volume dénonce un artiste, et bien décidément le poète Arvers vaut mieux que le sonnet d’Arvers. Un drame sur la mort de François Ier m’avait d’autant plus attiré que je venais d’assister la veille à la reprise du Roi s’amuse. J’avoue même que je redoutais un peu mon impression ; les rapprochemens de ce genre sont toujours dangereux et le poète qu’on voudrait présenter au public risque d’y succomber du premier coup ; tel ne fut point ici le cas. Arvers savait l’histoire et de plus s’entendait au théâtre. Élève très brillant et très couronné du collège Charlemagne, prix d’honneur du grand concours en 1824, il se destinait à la carrière universitaire, quand les nouveaux courans l’emportèrent au tourbillon qui le prit, le secoua, puis l’engloutit. Sa destinée fut un peu celle de Musset, à qui d’ailleurs il ressemblait par son talent[1] ; leurs instincts de viveurs et d’artistes les rapprochaient ; maintes fois, dans un souper, leurs verres et leurs vers s’entre-choquèrent ; grands amateurs de musique italienne, et grands coureurs de guilledou, ils se côtoyèrent, mais sans se lier. L’ombrageux Musset n’aimait point les gens faits à sa ressemblance. Physionomiste excellent et très scrutateur sous son indifférence affectée, s’il reconnaissait en vous l’étoffe d’un rival, il vous disait très haut : « Touchez là ! » et se disait in petto, les yeux baissés, en continuant à rouler sa cigarette : « Toi, mon garçon, tu n’auras jamais ma sympathie. » Les citations qui vont s’offrir à nous d’elles-mêmes montreront au lecteur les affinités encore plus naturelles qu’électives qui existaient entre les deux poètes, dont un seul aura survécu. La prodigue nature ne s’arrête pas, elle multiplie pour mieux détruire ; celui-ci ou celui-là, que lui importe ? Cinquante d’appelés pour un d’élu ! Il convient aussi de remarquer qu’à cette époque des Contes d’Espagne et des Heures perdues, le futur poète des Nuits était loin d’avoir rempli tout son mérite, et que les tireurs d’horoscope n’auraient eu à se prononcer que d’après des œuvres de jeunesse égales presque de valeur sinon de succès, car, tandis que le jouvenceau tapageur se voyait traîné à la lumière,

  1. Il a du vers de Musset l’ironie douloureuse, la compassion navrée :
    Et le seul avenir est-il pour notre vie
    De haïr qui nous aime et d’aimer qui nous hait ?

    Il en a aussi l’essor libertin, le risqué, l’impossible, comme dans Ce qui peut arriver à tout le monde, un conte d’Espagne qui vaut Don Paez :

    Et soudain Paquita s’écria : Honte et rage !
    Sainte Mère de Dieu, c’est ainsi qu’on m’outrage !
    Quoi ! ces yeux, cette bouche et cette gorge là,
    N’ont de ce beau seigneur obtenu, que cela.