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Arvers, son rival au début, restait dans l’ombre. Ce volume des Heures perdues, aujourd’hui rare et que les bibliophiles paient fort cher, s’en alla finir sur les quais, ignoré du public, et il n’en resta qu’un sonnet dans la mémoire des amateurs de curiosités. Quoi qu’il en soit, Arvers fit les avances à son confrère dans une adresse de joyeux avènement.


Ô chantre vigoureux ! ô nature choisie !
Quel est l’esprit du ciel qui t’emporte où tu veux ?
Quel souffle parfumé de sainte poésie
Soulève incessamment l’or de tes blonds cheveux ?


Musset, toujours sur la réserve, ne répondit pas. Était-ce qu’il trouvait la mariée trop belle, et ce spectacle de la Mort de François Ier vu de son fauteuil lui causait-il quelque mauvaise humeur en prévision de l’avenir ? Avec ces organisations hypernerveuses, on ne sait jamais jusqu’où la susceptibilité peut aller. Ce qu’il y a de certain, c’est que les qualités de cette remarquable étude dramatique n’échappèrent point à l’inquiète sagacité de l’auteur des Marrons du feu ; lui-même, dans un poème qu’il n’a pas jugé digne d’être conservé, venait de s’occuper du roi chevalier et de la belle Ferronnière[1], et, connaissant Musset comme je l’ai connu, je me mets pas en doute ici la question de l’effet produit. Une chose surtout dut le frapper ; le sens historique, phénomène qui ne se rencontrait guère dans le cénacle, exclusivement appliqué aux discussions de forme et n’exigeant rien davantage pourvu qu’on lui donnât des vers ciselés comme une coupe, coloriés comme un vitrail et dont les rimes tintaient comme les notes d’un carillon de Bruges. Arvers avait fait d’excellentes classes ; ce drame de la Mort de François Ier nous ouvre sur l’histoire des perspectives qui ne sont pas dans le Roi s’amuse, car Hugo, d’un si merveilleux lyrisme au théâtre, ignore l’art de totaliser ses personnages ; il ne prend jamais ses caractères que d’un côté, ses héros sortent d’une situation et s’y spécialisent. Parti d’une anecdote, il s’en servira comme d’un thème à varier sans fin ; de là, cette plus-value qui échoit à ses pièces lorsqu’on les transforme en opéras. Ses monologues sont des airs de bravoure, ses dialogues des duos et des quatuors : le quatuor de Rigoletto par exemple. Il arrive même souvent à ses personnages d’être en contradiction avec leur propre caractère. Ils ne chantent pas dans le ton. Ainsi, quand Triboulet soupire ces quatre vers :

  1. La pièce a pour titre : Derniers Instans de François Ier, et ne se trouve que dans un keepsake de 1831. (Paris, Giraldin, Bovinet et Cie, galerie Vivienne.) C’est un dialogue entre le roi et Triboulet, que naturellement Musset appelle « le Fol, » selon le langage d’alors, qui faisait dire à Michelet que, dans la famille de Charles-Quint, « il y avait beaucoup de fols. »