Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/62

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
UN
SECTAIRE RUSSE

À l’exposition de l’académie de Saint-Pétersbourg, on remarquait l’année dernière plusieurs portraits signés par un jeune peintre. M. Riépine. Ils témoignaient d’un talent singulièrement vigoureux et avaient d’autant plus de succès qu’ils répondaient mieux au goût actuel du public russe en art comme en littérature : un sujet douloureux et commun, vu avec pitié, rendu avec une énergie brutale. Un de ces portraits représentait un paysan, la figure qu’on rencontre sur le seuil de chaque cabane ; un petit homme d’une cinquantaine d’années, au visage maigre, chétif, avec de longs cheveux d’un blond roux tombant sur les tempes, une barbe rare, des yeux gris intérieurs, tranquilles, un peu voilés ; n’eût été le sourire assez fin, un sourire de bonhomie peinée et d’une certaine malice qui plissait les coins très accusés de la bouche, on eût pu sanctifier ce portrait avec l’auréole, la chape en filigrane de vermeil, et l’accrocher indifféremment à quelque iconostase à la place d’un des innombrables bienheureux du moyen âge russe ; le type est le même ; on a vu cent fois sur les icônes cette expression faite de sentiment plus que de pensée, méditative pourtant, comme est l’expression de tous les primitifs, de tous les Orientaux, alors même qu’ils ne méditent jamais. — L’angle supérieur du tableau portait cette indication : Sutaïef, le sectaire de Tver.

Qui était ce personnage énigmatique ? La plupart des visiteurs de l’académie eussent été aussi embarrassés de répondre à cette question