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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/648

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comme un vêtement, une vitalité antispirite lui est venue qui défie toutes les conjurations. L’échec du docteur est complet. Il repousse les excuses de sa fille, les consolations charitables des bons trembleurs, il s’égare dans la campagne, hors de lui, le cerveau en feu, et soudain sur sa route passe, tel qu’un fantôme abhorré, Ford, le persécuteur, celui qui l’a chassé de Boston ! Voilà donc la cause des revers persistans qui s’attachent à lui, la mauvaise volonté de ce démon le poursuivait ; c’est elle, c’est la détestable influence, c’est le voisinage maudit d’un pareil antagonisme qui a fait manquer l’expérience suprême sur laquelle il comptait pour convaincre les trembleurs. Dans un élan de rage impuissante, il bondit sur le jeune homme, mais, presque aussitôt, on le voit rouler à ses pieds sans connaissance, frappé d’une attaque d’apoplexie.

En réalité, Edward Ford avait entrepris sans aucun calcul une expédition de plaisir dans les montagnes. Lorsqu’il a profité, la veille, de l’hospitalité des trembleurs, il ne se doutait guère que le malheureux qu’il se reproche d’avoir involontairement calomnié en qualifiant d’imposture ce qui n’était qu’un grain de folie, et cette jeune extatique dont la beauté de lis brisé hante son imagination fussent aussi près de lui. Mais peut-être cependant a-t-il été funeste autant que le suppose Boynton, à la carrière de l’ex-médium Égérie. S’il s’est souvenu d’elle trop souvent, elle a de son côté beaucoup pensé à lui, sans rancune, quoiqu’apparemment il n’ait fait que du mal à elle et aux siens. Cette fois encore, elle le retrouve comme un meurtrier auprès du corps inanimé de son père et elle ne peut se résoudre pourtant à le haïr. Elle a raison, puisque Edward Ford met tout en œuvre pour adoucir les derniers jours du docteur, qui survivra quelque temps à son attaque, et obtenir un pardon que le pauvre homme, éclairé par l’approche de l’autre vie, accorde sans trop de peine. Il supporte peu à peu la présence habituelle de cet ancien adversaire, car Ford a élu domicile provisoirement chez les trembleurs ; il est touché de ses soins ; il a de longs entretiens avec lui. Les chimères qui naguère égaraient son jugement ont fait place à un désir passionné de mourir, pour découvrir enfin ce qui l’a inutilement tourmenté ici-bas. Il comprend bien tard que la prétendue puissance qu’il cultivait chez sa fille n’était autre que le développement éphémère d’une nervosité morbide, il se reproche d’avoir absorbé dans son monstrueux égoïsme les forces et les grâces de cette nature simple, aimante, douce, faite pour le bonheur, qu’il a peut-être éloigné d’elle à tout jamais. — J’étais un vampire sans le savoir, dit-il avec angoisse, — et Ford le rassure, peut-être parce qu’il sent qu’il dépend de lui que ce bonheur, censé détruit, renaisse aussi parfait que si rien jamais ne l’avait compromis. En