Abstiens-toi ; — à la fiancée : — Oublie. Nous exigeons le célibat, ce suprême renoncement, ce dernier gage d’une vie supérieure. Même si nous ne considérions pas le célibat comme essentiel à la vertu, nous le croirions indispensable au communisme.
— Mais votre communisme semble néanmoins menacé, dit Ford, parce que la nature est la plus forte et parce que vos membres ne peuvent vous fournir de nouvelles recrues en se reproduisant. Vous êtes réduits à chercher des auxiliaires chez l’ennemi.
— C’est, en effet, une de nos difficultés. L’ennemi est dans nos murs, dit Elihu en faisant allusion aux adhérens de passage qui reçoivent le nom caractéristique de trembleurs d’hiver et que la belle saison ramène aux voies larges du monde. Alors même qu’une paix inaltérable règne au fond de nos cœurs, il nous faut combattre en faveur de nos frères moins favorisés. Nous avons surtout le devoir de défendre les plus jeunes contre les pièges de leur imagination.
— Cela doit être une grosse besogne.
— Assurément. Nous devons leur défendre la connaissance et jusqu’au spectacle lointain de l’amour.
Ces mots amenèrent sur le visage de Ford une expression troublée dont Elihu prit note :
— Ami, dois-je comprendre que vous nous voulez du bien ?
— Certes, oui.
— Vous ne nous trahiriez pas volontairement ? Vous ne mettriez pas un obstacle sur le chemin de ceux que nous guidons vers ce que nous croyons être la vérité ?
— Qu’ai-je fait pour que vous me posiez de pareilles questions ?
— Rien ; mais il est difficile de combattre dans de jeunes esprits un sentiment qu’ils ne sont que trop disposés à croire divin, tandis que nous enseignons qu’il est de la terre, en présence de ce sentiment même, paré de certaines excuses… Plus une affection paraît honnête, plus l’effet d’un pareil exemple est subtil et pernicieux. Nous ne saurions le tolérer une minute parmi nous après avoir découvert son existence. Vous me comprenez : se défendre est la loi de la vie.
— Parbleu ! s’écria Ford impatienté, je voudrais savoir où vous voulez en venir ?
— A ceci, répondit Elihu avec calme : Égérie vous aime. L’ignoriez-vous ?
Un instant la respiration faillit manquer à Ford :
— Mais, malheureux, son père est au lit de mort ! Elihu, debout, tournait lentement son grand chapeau.
— L’ami Boynton est très mal, mais on ne sait si cet état