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cherchées dans le magnétisme ? Le squire Gaylord, qui s’est passé de Dieu toute sa vie, tient à ce que le ministre Halleck, l’homme le meilleur qu’il ait jamais rencontré, officie à son enterrement. En somme, la religion, non pas sous forme de citations bibliques ou de prêches comme dans les romans de Mme Wetherell, de Mme Beecher Stowe et de plusieurs de leurs compatriotes, mais mêlée au sujet sans affectation ni pédantisme, revient souvent sous la plume de l’auteur de a Modern Instance. On voit qu’il n’admet pas que le portrait d’un homme soit complet s’il y manque un aperçu de ses croyances ou de ses doutes. N’est-ce pas la base de tout le reste ? Dans a Modern Instance, un rude pionnier, exploiteur infatigable des grands bois, se préoccupe, au milieu de toutes les difficultés d’un campement, d’assurer à ceux de ses hommes qui sont catholiques la nourriture maigre du vendredi. Ailleurs nous voyons un vieux loup de mer, capitaine de navire, prononcer la prière avant chaque repas et un passager sur ce même navire, un dandy, lire le service du dimanche aux matelots, faute de prêtre. En Amérique, la religion des ancêtres est indissolublement unie aux vertus républicaines, et, bien loin de les affaiblir, elle semble leur prêter une force de plus.


III

Si a Modern Instance nous montre avec quel soin scrupuleux est évité le brûlant chapitre de l’adultère dans les romans américains les plus vifs et les plus hardis, un autre ouvrage de Howells, the Lady of the Aroostook, nous initie à une autre particularité du caractère yankee, la protection respectueuse accordée en toute circonstance par le sexe fort au sexe faible.

Le grand-père de miss Lydia, un bon vieux fermier du Massachusetts septentrional, ignorant les usages du monde, trouve fort naturel de confier sa petite-fille, qui va rejoindre en Europe des parens riches, aux soins du brave capitaine de l’Aroostook, qu’il connaît pour le plus honnête homme du monde, marié d’ailleurs et père de famille. Or il n’y a pas de femme sur l’Aroostook, qui ne compte que trois passagers : un gentleman de la Nouvelle-Angleterre, M. Dunham, qui va rejoindre sa fiancée en Europe, l’ami de Dunham, M. Staniford, qui se propose de voyager pour son plaisir, et un jeune M. Hicks, que ses parens ont fait embarquer afin de le guérir d’habitudes d’ivrognerie invétérées déjà. D’abord un peu gênés et ennuyés par la présence d’une jeune fille, tous les trois, même le petit ivrogne, prennent bientôt à son égard cette